Portrait : Wilma Rudolph, sportive miraculée et ambassadrice de la cause afro-américaine
par Manon Philippe
16 février 2022

« Mes médecins me disaient que je ne marcherais plus jamais. Ma mère me disait que j’y arriverais. J’ai cru ma mère ». Ces paroles, c’est Wilma Rudolph, première femme de l’histoire à remporter trois médailles d’or olympiques en 1960 qui les prononce. L’histoire commençait mal, bien loin de cette « success story ».

 

Une enfance tourmentée

Wilma Rudolph naît prématurée en 1940 dans le ghetto de Bethlehem à Clarksville dans le Tennessee. Dans une Amérique à peine délivrée de l’esclavage mais subissant encore de plein fouet la ségrégation raciale, Wilma a rapidement dû faire face à tous les obstacles que ses origines afro-américaines comportaient. Son père est porteur de bagages, sa mère domestique. Elle est l’avant dernière d’une famille de vingt-deux enfants. Wilma grandit modestement dans une Amérique divisée où l’injustice, la violence et racisme envers les noirs sont la norme. Dans un tel contexte, qui aurait pu lui prédire un tel succès ?

Et puis tout bascule. La sentence tombe tel un couperet. Wilma est victime de nombreuses maladies infantiles. D’abord atteinte d’une double pneumonie et d’une scarlatine, son médecin lui diagnostique une poliomyélite à l’âge de quatre ans. Sa maladie lui fait perdre l’usage de la jambe gauche, Wilma ne marchera sans doute plus jamais. Condamnée par la médecine, mais encouragée par l’espoir et le soutien sans faille qu’elle reçoit de sa famille, elle se bat. « Rien ne l’a arrêtée. Wilma a essayé de vivre normalement, de jouer avec les autres enfants »  racontera plus tard sa mère. A l’époque, le Tennessee est un état ségrégationniste, berceau du Ku Klux Klan. Wilma ne peut être soignée dans l’hôpital de la ville, réservé aux blancs. Sa mère l’accompagne deux fois par semaine à plus de 100 kilomètres de chez eux, jusqu’à l’hôpital de Nashville qui accepte de la soigner. Sa famille lui prodigue soins et massages à la maison. Rien ne prédestinait Wilma Rudolph à devenir l’une des femmes les plus rapides du monde.

Wilma rencontre régulièrement des problèmes de santé, manque d’appétit mais à l’âge de 9 ans, contre toute attente, l’état de sa jambe gauche s’améliore, et elle peut de nouveau marcher sans attelles. Deux ans plus tard, elle remarche normalement sans chaussures orthopédiques et … se met à courir vite, très vite.  Sans ses attelles, Wilma voit s’ouvrir le champ des possibles. Éprise de liberté et de sport, elle rejoint l’équipe de basket de son école, la Burt High School. Elle brille sur le terrain, son potentiel est immense, sa vitesse impressionnante. Presque trop intense pour se limiter à la pratique du basketball. Wilma est rapide, son coach la surnomme « Skeeter » – moustique-, mais relativement petite, ce qui ne représente aucunement un obstacle pour une carrière dans l’athlétisme.

 

Carrière olympique 

Repérée par Ed Temple, célèbre entraîneur de l’Université du Tennessee, la vie de Wilma prend un nouveau tournant. Le légendaire coach d’athlètes afro-américaines, et mentor des Tigerbelles a façonné plus d’une championne. En tant qu’entraineur, il contribue à faire décrocher plus de 34 titres nationaux. Fasciné par le talent de Wilma, Ed la prend sous son aile, attendant patiemment son entrée à l’université. Ed Temple entraîne Wilma et l’inscrit aux Jeux Olympiques de Melbourne. A seulement 16 ans, Wilma décroche une médaille de bronze sur le relais 4 X 100 m avec ses coéquipières.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais en août 1960, celle que les médias baptiseront « la Gazelle Noire » frappe encore. En août 1960 s’ouvrent les Jeux Olympiques de Rome. Wilma pulvérise ses adversaires. Littéralement. Elle termine la finale du 100 mètres avec trois mètres d’avance sur ses concurrentes et décroche trois records du monde, au 100 mètres, au 200 mètres et au 4X100mètres. Comme si cela ne suffisait pas, c’est en étant blessée, victime d’une foulure et avec une cheville bandée que Wilma réussit ce tour de force. « J’ai senti jaillir en moi un sentiment d’accomplissement intense, trois médailles olympiques. Je savais que c’était quelque chose que personne ne pourrait jamais m’enlever », déclarera Wilma . Ce jour-là, le monde entier avait les yeux rivés sur Wilma :  les JO de Rome sont les premiers jeux retransmis mondialement à la télévision et les performances de Wilma Rudolph suffisent à en faire une légende.

 

Wilma Rudolph, pionnière de la lutte contre la ségrégation raciale

Sur le chemin du retour, les habitants de Clarksville, sa ville natale, veulent accueillir Wilma, mais le gouverneur Buford Ellington souhaite interdire cette manifestation à la population noire. Forte de sa nouvelle notoriété, ambassadrice rêvée pour défendre la cause des afro-américains dans un état ségrégationniste déchiré par la violence et le racisme, Wilma exige que l’événement soit ouvert à tous. Sans concessions. Blancs et noirs confondus pour célébrer sa victoire. Et elle obtient gain de cause.  Si l’anecdote peut sembler anodine, il s’agit pourtant d’un des premiers événements inclusifs aux Etats Unis et le tout premier de l’histoire réunissant l’ensemble des habitants du village.

Après sa victoire écrasante, plus rien n’est comme avant. Wilma devient une célèbre figure sportive, elle est invitée par John Kennedy à la maison blanche aux côtés de sa famille. Elle fait son apparition au Ed Sullivan Show, émission incontournable de l’époque suivi par plus de 60 millions d’américains. Elle devient l’une des athlètes afro américaines les plus visibles du pays. Son aura n’a plus de limites, et c’est tant mieux car une grande bataille l’attend.

Nous sommes en 1960, à l’aube du mouvement pour les droits civiques. Trois ans plus tard, la triple championne olympique se joint aux premières manifestations. Elle milite pour la fin de la ségrégation raciale dans les restaurants de sa ville natale, Clarksville. Plus tard elle confiera : « Vous grandissez en voyant et en entendant toutes ces injustices… Bien souvent, ces cicatrices profondes ne guérissent pas. » Ses actions feront d’elle une figure incontestée de la lutte pour les droits civiques.

 

Retrait de la compétition

Wilma se retire très tôt de la compétition, dès 1962. Mais ses prouesses sportives aux Jeux Olympiques de Rome sont un accomplissement en soi. L’accomplissement d’une jeune fille qui avait pourtant tout contre elle : faiblesse physique, société peu encline à soutenir les jeunes athlètes noirs. Anita De Frantz, membre du comité international olympique raconte à Randy Harvey du Los Angeles Times : « Quelqu’un m’a demandé si je décrirais Wilma comme une battante, j’ai répondu que je la décrirais plutôt comme une conquérante. »

A seulement 22 ans donc, Wilma se retire de la compétition, et consacre le reste de sa vie à aider les autres. Elle reprend ses études dans l’éducation et se dédie ensuite au métier d’enseignant et de coach sportive. « C’est essentiel pour moi de travailler au contact des jeunes. J’ai toujours pensé que l’aspect le plus important de ma vie serait de travailler avec eux. Mon rêve a toujours été d’encourager l’éducation, de proposer des programmes d’entraînement ». Parallèlement à son métier d’enseignante, Wilma s’implique contre la ségrégation raciale et dans des ONG encourageant la pratique du sport. Elle est à l’origine du programme d’éducation sportive pour jeunes filles noires à Chicago.

Le sort s’acharnera malheureusement sur celle qui a ouvert la voie aux athlètes noirs américaines. A seulement 54 ans, Wilma meurt d’une tumeur au cerveau, mais elle laisse derrière elle un monde différent et plus juste que celui dans lequel elle a fait ses premiers pas, un monde qu’elle a grandement contribué à améliorer. Son incroyable combativité et sa résilience inspireront plusieurs générations d’athlètes.

 


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Photo Wilma Rudolph, Wikimedia Commons