« Je veux être doula ». À l’aube de ses quarante ans, Isabelle Monnier, enceinte de son quatrième enfant, envoie valser sa carrière de directrice financière qui ne la rend plus heureuse pour être au plus près des naissances. En véritable « Birth junkie » comme elle se définit, elle a une certitude : « Il faut que j’accompagne d’autres familles qui puissent vivre ce que j’ai vécu avec l’allaitement, avec la naissance. […] On peut faire les choses différemment, se réapproprier son corps, sa puissance. »
La première fois qu’Isabelle a entendu parler des doulas, c’était il y a 16 ans alors qu’elle était enceinte de sa fille aînée. « Une doula accompagnait une amie et j’ai bénéficié par ricochet des informations qu’elle a pu recevoir, notamment sur le portage, sur l’allaitement et donc je n’aurais pas materné ma fille de la même manière si je n’avais pas eu cela. »
Le métier de Doula est répandu dans les pays anglo-saxons, mais encore assez méconnu en France. Pourtant, le mot « doula » existe depuis l’Antiquité. En grec ancien, il s’agit de la servante, celle qui sert la femme. Dans la mythologie grecque, la doula Galanthis déjoue les manigances des dieux en colère retardant l’accouchement d’Alcmène et l’aide à accoucher d’Hercule. Au Moyen-âge, on retrouve aussi les récits de ces « Godsibs » (God Siblings) qui accompagnaient les femmes enceintes aux côtés des sages-femmes pendant et après la naissance.
Jusque dans les années cinquante, « on avait les matrones et les commères en Europe, elles étaient là pour aider la femme avec son foyer, ses enfants, la nourriture, le ménage pendant qu’elle était en post-partum. Et puis elles préparaient la pièce, la famille, tout ce qu’il faut en attendant l’arrivée de la sage-femme », raconte Isabelle Monnier.
C’est aux États-Unis, que le mot « doula » réapparaît en 1973 dans le livre The tender gift de Dana Raphaël. L’anthropologue souligne l’importance pour la mère d’être soutenue par une autre mère expérimentée pour réussir son allaitement, mais aussi de favoriser son épanouissement dans son nouveau rôle. À partir des années quatre-vingt, s’ensuit la création de service de soutien post-natal aux mères puis des associations se forment graduellement et l’activité prend peu à peu son essor.
Selon Isabelle Monnier, il y a un besoin de « recréer ce métier de proximité […] aujourd’hui, on a des familles nucléaires qui habitent loin de leurs proches, on transmet peu de générations en générations. La doula va vraiment être là, sur tout ce qui est non-médical. On intervient aussi bien sur le plan logistique qu’émotionnel. »
L’accompagnement démarre généralement avant ou pendant la grossesse jusqu’au jour J de la naissance puis se prolonge à la période postnatale. « On connaît bien les parents, on a une relation de confiance et comme on intervient surtout à domicile, on est aussi bien les premières à pouvoir détecter, peut-être un début de dépression post-partum, une difficulté maternelle. »
Dans ce cas de figure, la doula, qui ne remplit pas une fonction de soignante, sait orienter les familles vers les professionnels de santé avec lesquels elle collabore.
Lorsqu’Isabelle Monnier était encore dans le monde de l’entreprise, elle songeait déjà souvent à se reconvertir en sage-femme. Mais en passant son diplôme d’auxiliaire de puériculture et en travaillant en maternité, elle a compris que ce n’était pas ce qui lui correspondait. Cela lui a permis de sauter le pas et de se former à l’Institut de formation Doulas de France qui depuis 15 ans a déjà formé plus de 400 doulas.
Selon Isabelle Monnier, il y a un besoin de « recréer ce métier de proximité […] aujourd’hui, on a des familles nucléaires qui habitent loin de leurs proches, on transmet peu de générations en générations. La doula va vraiment être là, sur tout ce qui est non-médical. On intervient aussi bien sur le plan logistique qu’émotionnel. »
Le cursus en présentiel de 240 heures inclue des modules variés tels que l’éthique et les valeurs de la doula, la relation d’aide, la découverte du corps de la femme ou encore l’allaitement pour n’en citer que quelques-uns. Isabelle Monnier insiste sur le fait que l’expérience de mère peut aider, mais n’est pas suffisante. Certaines doulas n’ont pas d’enfants par exemple. La formation enseigne avant tout la posture de la doula centrée sur l’écoute active, un concept théorisé par Carl Rogers, un psychologue américain. Cette technique de communication permet de créer un climat d’empathie où l’on reformule et questionne à l’instar d’un miroir pour aider l’interlocuteur à se sentir compris et à s’exprimer plus librement sans jugement.
« Il y a des familles que j’accompagne, qui font le choix de ne pas allaiter leurs enfants ou qui souhaitent un projet de naissance avec péridurale. Et je ne vais pas essayer de les faire changer d’avis, c’est leur projet et je réponds à leurs besoins », explique la doula.
En plus de ses 12 années en soutien à l’allaitement en milieu associatif avec la Leche League et Or blanc, Isabelle s’est spécialisée dans l’accompagnement des grossesses, l’allaitement et la naissance physiologique. Cependant, ce n’est pas l’unique rôle des doulas. Peu de gens connaissent leur champ d’action. Elles peuvent très bien intervenir pour les PMA, les IVG/IMG, la fausse-couche, les parcours de transition ou encore à l’adolescence ou à la ménopause. Il existe aussi des Thanadoulas, qui accompagnent les familles en deuil.
« On est là pour soutenir les parents dans leur projet, de manière neutre, bienveillante et inconditionnelle, on n’apporte pas des solutions, on n’est pas des sauveuses », précise Isabelle Monnier.
Les bienfaits de la présence d’un accompagnant qualifié, une doula, auprès de la mère lors de l’accouchement ont été étudiés notamment par les chercheurs Marshall Klaus et John Kennel. Leurs études rapportent des résultats positifs comme la diminution du temps de travail et des complications périnatales, moins de médicalisation et de césarienne. En somme, un meilleur vécu de la naissance.
Pourtant, les doulas ne sont pas toujours bien vues dans le monde médical, tout particulièrement en France. Elles ne sont d’ailleurs pas toutes acceptées dans les maternités malgré la demande des parents concernés qui doivent se rediriger vers d’autres structures favorables.
« Je pense sincèrement que c’est vraiment en maternité qu’on a le plus besoin de nous. Tant qu’on n’aura pas pour chaque femme, une sage-femme en salle de naissance en France, et bien ça veut dire que des personnes risquent d’être maltraitées ou que l’on ne s’occupera pas assez d’elles, on surmédicalisera pour cadencer », craint Isabelle Monnier, qui a elle-même travaillé en maternité dans le passé en tant qu’auxiliaire.
Malheureusement, selon elle, étant donné l’état actuel du milieu hospitalier et son manque de personnel, l’équipe médicale n’a pas toujours le temps d’accompagner au mieux les accouchements physiologiques sans péridurale ou encore l’allaitement. « Je vois beaucoup de mères qui ont l’impression qu’on leur a volé leur premier accouchement, que ce n’est pas ça qu’elles voulaient et qu’elles n’étaient pas assez informées en amont », rapporte Isabelle Monnier de son expérience sur le terrain.
Isabelle Monnier a tout de même eu la chance d’être présente en salle de naissance à trois reprises depuis ses deux années de pratique. Elle témoigne de son expérience réussie lors d’un accompagnement de jeunes parents où l’équipe médicale lui a laissé jouer son rôle et inversement où elle a su s’effacer pour laisser les professionnels de santé faire leur travail.
Isabelle Monnier se souvient : « La sage-femme nous a dit : “Ce que vous faites tous les trois, c’est génial, du coup, je repars voir les autres… Continuez comme ça !” Et elle s’est vraiment reposée sur moi. Il y avait une espèce de ballet où chacun était à sa place. Chacun savait ce qu’il devait faire et les parents se sont sentis soutenus et portés. »
Très active sur les réseaux sociaux, elle pose ouvertement la question : « Pourquoi est-ce que les maternités françaises ne comprennent-elles pas que nous sommes utiles et complémentaires ? Que nous pourrions faire partie de la solution [pour pallier les manquements du système hospitalier] ? »
Elle est d’ailleurs membre active de l’Association des Doulas de France créée en février 2006, œuvrant à la reconnaissance de ce métier et à son encadrement légal. La signature d’une charte par ses adhérentes délimite et précise le champ d’action non-médical des doulas : « Notre accompagnement est complémentaire de celui des sages-femmes et des médecins. Nous accompagnons les familles qui ont mis en place un suivi médical pendant la grossesse et l’accouchement », stipule le texte.
« On est là pour soutenir les parents dans leur projet, de manière neutre, bienveillante et inconditionnelle, on n’apporte pas des solutions, on n’est pas des sauveuses »
Isabelle Monnier, doula
Les doulas signataires sont ainsi regroupées dans un annuaire officiel. L’association propose également des opportunités d’équivalence pour celles qui n’ont pas suivi une formation dans les principales écoles reconnues : l’Institut de formation doulas de France, Envol et Matrescence puis le centre Galenthis. Un système de « marrainage » a également été mis en place pour proposer un mentoring personnalisé aux adhérentes.
Depuis 2004, « les Journées des Doulas » sont organisées pour réunir le corps de la profession et discuter des pratiques et des avancées en termes de reconnaissance. En 2024, la prochaine édition de « l’European Doula Network » a lieu en France et se prépare activement en coulisses en vue d’aborder pendant trois jours les problématiques du métier au quotidien.
Isabelle Monnier est une doula engagée. Elle jongle entre sa vie de famille, son travail de doula et la vie associative. Elle fait également partie du collectif des Doulas radicales qui se veut le plus inclusif possible. Les membres organisent des projections ou des ateliers en ligne et militent pour la justice reproductive.
L’objectif est de trouver le moyen de « s’adresser à toutes les personnes qui ne sont pas forcément la cible privilégiée des doulas, notamment en France, c’est-à-dire, les populations non-blanches, en précarité, LGBT, en situation de handicap, toutes celles qui peuvent subir des discriminations quelles qu’elles soient, en plus de celles d’avoir un utérus. » Isabelle Monnier nous fait d’ailleurs part du phénomène des biais ethno-raciaux implicites que peuvent rencontrer les femmes en périnatalité.
Un mouvement « Black Mamas Matter » voit d’ailleurs le jour aux États-Unis en 2013 pour dénoncer ces inégalités de traitement pendant la grossesse et en maternité. Des études ont par exemple démontré qu’aux Etats-Unis, les femmes noires étaient plus sujettes à la mort maternelle. Si bien qu’en 2021, la marque Dove a lancé un fonds de solidarité sur le sol américain, destiné aux femmes noires, afin de financer leur accompagnement par une doula dès leur grossesse et après l’arrivée de leur bébé.
« Aux États-Unis, il y a des doulas communautaires, mieux à même de comprendre les difficultés et de défendre les droits des personnes puisqu’elles sont elles-mêmes concernées. En France, pas vraiment, c’est une volonté de certaines doulas, comme moi, comme le collectif, de nous intéresser aux publics d’emblée discriminés d’une manière ou d’une autre », soutient Isabelle Monnier.
En 2021, une enquête nationale publiait que les femmes nées en Afrique subsaharienne étaient trois fois plus sujettes à la mort maternelle que celles nées en France et recevaient également des soins de moins bonne qualité. La doula peut servir de rempart à ces discriminations en créant un lien avec la mère et en veillant à faire respecter ses choix et son projet de naissance. Isabelle a travaillé en PMI en tant qu’auxiliaire et a été témoin de ces différences.
Grâce au relais d’information de la doula, les femmes informées et soutenues sont mieux préparées. En se faisant accompagner, elles risquent moins de passer à côté d’anomalies pendant leur grossesse ou encore durant leur post-partum et seront ainsi redirigées à temps vers les professionnels de santé si besoin. D’ailleurs, l’Association des Doulas de France dispose d’un fond de solidarité afin de permettre à des familles qui n’auraient pas les moyens, de se faire quand même accompagner.
Isabelle Monnier et ses consœurs doulas multiplient les actions pour faire connaître leur métier et son utilité pour le bien-être des familles. L’association cherche à lever les ambiguïtés et les idées reçues.
« Parce qu’aujourd’hui, il peut y avoir une méfiance de la part de certaines sages-femmes qui ne connaissent pas notre métier. » Leur fonction est différente de celle d’une sage-femme. Elle est complémentaire et soutient la famille tout au long du processus.
« C’est hyper dur de vivre du métier de doula en France, la profession n’est pas reconnue, nous ne sommes quasiment pas acceptées en maternité, et pourtant, il y a un besoin […] Quand je suis avec une famille, je suis vraiment à ma place, et je sais que je change le monde une naissance à la fois, c’est ma mission. »
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