Endométriose : le combat pour se libérer de la douleur
par Caroline Circlaeys
26 septembre 2023

« Il y autant d’endométrioses que de femmes atteintes », confie Yasmine Candau, Présidente d’EndoFrance et patiente experte. Les récits d’errance médicale se démultiplient et pourtant chaque histoire compte. Chaque combat contre cette pathologie longtemps méconnue nous rapproche de la clé du problème : l’absence de certitude quant au traitement. 

Laurène a 16 ans quand elle commence à souffrir. Comme beaucoup de femmes, il lui faudra attendre sept ans pour que le diagnostic tombe. Le mot « endométriose » la percute de plein fouet. « Je me souviens, j’étais avec une amie et j’étais paralysée ». Enfin, elle met un nom sur ses douleurs « mais est-ce que c’est grave ? ». Elle ignore totalement comment réagir, car en 2009, personne ne parlait de cette maladie. « J’ai l’impression que tout ce que je raconte appartient à une autre époque. ».

Il aura fallu 20 ans de lutte des associations comme EndoFrance pour que le Président de la république annonce une stratégie nationale en 2022. Laurène a longtemps caché à ses amis, mais aussi à ses collègues sa maladie. Elle encaissait et souffrait en silence en attendant que cela passe. Aujourd’hui, le grand public n’est plus étranger au terme d’endométriose, mais sa complexité est loin d’être résolue. 

C’est seulement après sa première grosse opération que Laurène a découvert le monde associatif autour de l’endométriose. Elle se souvient avoir été surprise par le nombre de femmes dans la pièce : « la première fois que j’ai parlé de ma maladie, c’était à une réunion d’EndoFrance, il y avait plein de filles assises. Et je me suis dit : ah, c’est ça l’endométriose ! C’est vous que je croise tous les jours dans la rue. » Laurène comprend qu’elle n’est pas un cas isolé. Une femme sur 10 serait concernée. Elle prend la parole et profite de ce déversoir qui la délivre d’un poids.

Pourtant la maladie n’a pas été découverte en 2022. Au contraire, elle est vieille comme le monde. Des papyrus égyptiens de plus de 4 000 ans la décrivait déjà. À l’Antiquité, Platon partageait ses observations sur la violence de douleurs utérines chez certaines femmes. Par la suite, le terme « hystérie » émerge, étymologiquement la matrice, l’utérus. Les maux menstruels des femmes sont diabolisés, donnant lieu à des pratiques barbares notamment au Moyen-Âge et à travers les siècles. Avec du recul, ces supposées « crises hystériques » causant un état de convulsion ou syncopal, concordent avec les symptômes de l’endométriose, explique le radiologue Erick Petit dans sa publication sur l’Histoire de la maladie. Cette pathologie existe depuis la nuit des temps et n’était pas une invention du mental. 

Laurène nous fait part de la violence médicale qu’elle a subie. Elle pèse ces mots et parle de boucherie. « Je faisais une confiance aveugle aux médecins donc je n’ai même pas comparé les diagnostics. Si un médecin me dit un truc c’est forcément la vérité ». Aussitôt diagnostiquée, aussitôt opérée ! 

Yasmine Candau, elle-même atteinte de la maladie, ayant mis 7 ans avant que le diagnostic soit posé, étant passée par 9 chirurgies, se bat au quotidien bénévolement au sein de son association pour que « les jeunes filles d’aujourd’hui et surtout celles de demain ne vivent pas [ce qu’elle] a vécu ».

Aujourd’hui, avec la formation grandissante des professionnels de santé, on n’envoie plus directement au bloc même si cela arrive encore parfois, déplore Yasmine qui est elle-même passée par la même case. Depuis 2020, l’endométriose est désormais enseignée dans les études de médecine. Dans son livre « les idées reçues sur l’endométriose », la présidente d’EndoFrance déracine les fausses solutions comme, par exemple, l’ablation de l’utérus : l’hystérectomie qui peut être valable, mais en cas d’adénomyose, forme d’endométriose positionnée dans le muscle utérin.

Les médecins avaient assuré à Laurène qu’une fois l’opération terminée, elle n’entendrait plus jamais parler d’endométriose. Et pourtant elle ne se doute pas du calvaire qui l’attend. Aucun suivi post-opératoire n’est réalisé. Aucune indication quant aux conséquences de la chirurgie sur son corps, sur son régime alimentaire ou sur les complications intestinales qui empoisonnent son quotidien et sa vie de femme 5 ans durant. 

Une autre idée reçue totalement erronée consiste à suggérer la grossesse comme solution thérapeutique. Laurène témoigne : « quand j’avais 20 ans, le docteur m’a dit : vous ne voulez pas faire un enfant parce que ça règlerait votre problème ». Lorsque Laurène décide des années plus tard de fonder une famille avec son conjoint, non pas pour mettre fin à ses douleurs mais bel et bien par désir de maternité, elle se heurte alors à la violence de la PMA.

« J’avais 20 jours de douleur non-stop. C’était vraiment terrible. J’en ai écrit des poèmes pour transformer la violence en un truc regardable. » : Laurène partage alors en musique un clip vidéo intitulé « Ce qui ne me tue pas ».

« Les FIV ont été catastrophiques. On m’a réopérée. On m’a enlevé une trompe et un mois après, celle qui restait, s’est bouchée à cause de l’endométriose. Le drame ». Laurène finit par abandonner son projet d’enfant. Épuisée, endolorie, elle fait son deuil de la maternité.

Aujourd’hui, Laurène est totalement guérie de son endométriose. Elle n’a plus aucune douleur, plus aucun symptôme et croque la vie à pleine dents. Elle a trouvé sa propre solution en allant chercher en dehors de nos frontières.

Ayant vécu un an en Égypte, elle avait gardé contact avec une ancienne cancérologue, reconvertie dans la médecine fonctionnelle, qui l’a prise sous son aile à distance. « Elle m’a demandée d’arrêter le gluten, les produits laitiers et tout ce qui était inflammatoire. Avec elle, j’ai changé de régime alimentaire et tout de suite mes douleurs ont été réduites drastiquement. »

Durant sa quête de réponses sur l’endométriose et grâce à son activité professionnelle, elle se retrouve même en face du médecin du Dalaï Lama : « Il analysait l’urine. On était une file de gens dans la rue et ils nous recevaient un à un. On allait uriner dans un bocal et il regardait ça dans un lavabo devant tout le monde. » Il lui a donné un traitement pendant un mois à base de plantes mais sans succès.

Désespérée, elle accepte même de rencontrer un prophète au Cameroun : « c’est un ami qui m’a emmenée voir cette personne en me disant « tu vas voir, il guérit les gens ». Il m’a dit que j’avais des cafards dans les ovaires et des fourmis dans les trompes ». Laurène sort en colère de cette entrevue, mais continue de chercher.

Nutriponcture, acupuncture, ostéopathie, magnétisme, hypnothérapie, Laurène a tout tenté. Sous hypnose, elle avait même trouvé un mécanisme pour maîtriser la douleur quelques secondes en pensant à la neige.

C’est en Inde qu’elle trouve la solution : « l’ayurveda, c’est ce qui m’a sauvée ». Une amie pratiquant des massages ayurvédiques à Paris, lui conseille de partir se faire soigner. « J’ai mis un an à y aller parce que j’en avais marre d’avoir tout essayé. J’étais fatiguée, je n’en pouvais plus. »

En 2019, Laurène se retrouve en quarantaine dans une chambre d’hôpital ayurvédique à Coimbatore, dans le Tamil Nadu. 40 jours durant lesquels elle est suivie de près par l’équipe médicale. Le médecin passe tous les jours et regarde le pouls, la langue, les yeux. Il demande comment sont les selles, les urines, la température. « Chaque jour, il fait le diagnostic et donne des traitements. On prend des plantes toutes les trois heures. »

La médecine ayurvédique fait totalement sens pour Laurène. On traite la cause de la maladie et non les symptômes. On cherche à restaurer l’équilibre dans le corps. L’objectif était de se détoxifier. « C’est aussi la première fois que j’avais un médecin qui m’écoutait ». Il s’est intéressé à son journal de bord qu’elle tenait depuis le début de sa maladie, il a souhaité le lire pour comprendre sa patiente. Elle se souvient notamment du médecin de garde « Arjun », qui l’a accompagnée pendant une crise de douleurs intenses en faisant diversion. 

Elle ne devait pas prendre ses antidouleurs pendant les règles. La première fois c’était très dur et la seconde fois : une victoire. « C’était la première fois de ma vie où je saignais sans douleur, j’ai pleuré de joie, c’était incroyable ! Et de là, après, je n’ai plus eu mal. »

Ne trouvant pas les solutions dans le monde médical, ces femmes sont allées les chercher ailleurs en se documentant ou en voyageant.

Laurène rentre en France après cette expérience salvatrice. Elle doit continuer un traitement à base de plantes pendant six mois et surtout suivre le même régime alimentaire, un élément clé dans la médecine ayurvédique. « C’est assez difficile de manger ayurvédique en France parce que tout ce qu’on mange est très acide : les fritures, les pâtes, les sauces, le lait, le fromage. J’essaye donc de respecter ce régime, car c’est le seul qui m’ait apporté une solution. » 

Elle précise que ce n’est pas parce que cette solution a marché pour elle qu’elle marchera pour toutes, car chaque femme, chaque endométriose et chaque parcours est différent.

« Je n’ai plus aucun symptôme : les lésions sont toujours là, mais elles diminuent petit à petit. » Elle a gardé chez elle la canne qu’elle utilisait pour marcher dans le passé et n’en revient pas de ne plus en avoir besoin, d’être délivrée de cette douleur. Elle mettait même une minerve dans les transports en commun pour être sûre de trouver une place assise dans le métro, car le handicap invisible n’est pas évident à gérer face au regard des autres. Cette période est enfin révolue.

Elle évoque le sentiment de vulnérabilité ressentie voire même de mise en danger durant son parcours. Elle aura été sous ménopause artificielle à 25 ans à trois reprises. Petit à petit, elle reprend le contrôle et comprend mieux le fonctionnement de son corps. Elle réinvente aujourd’hui son quotidien, s’est mise à faire ses savons, ses crèmes, à cuisiner, à respecter son sommeil : « J’ai voulu enlever tous les perturbateurs endocriniens de mon environnement, car on ne connaît pas la cause de l’endométriose ». 

Laurène est d’ailleurs reconnaissante des groupes de femmes atteintes par la maladie qui, en plus de leur travail, militent au quotidien à travers des associations ou des groupes Facebook par exemple en partageant leurs recherches et ce qui les a soulagées. « C’est grâce à elles que je suis arrivée là où j’en suis aujourd’hui ». 

Ne trouvant pas les solutions dans le monde médical, ces femmes sont allées les chercher ailleurs en se documentant ou en voyageant. Suite à sa propre expérience de la maladie, Marie-Rose Galès a publié un ouvrage « Endométriose : ce que les autres pays ont à nous apprendre » en allant enquêter à l’étranger pour rassembler le maximum de données scientifiques sur le sujet. Elle appelle à plus d’échanges entre les pays pour faire avancer les recherches et les soins. 

En France, les choses bougent malgré tout. EndoFrance intervient aussi bien dans les écoles que dans les entreprises. « Sur une classe de 30 élèves, il y en a trois qui viendront me voir en disant : « je crois que je suis concernée ». Elles vont nous réécrire ensuite en disant : « merci, je sais enfin pourquoi j’ai mal. »

Yasmine Candau, elle-même atteinte de la maladie, ayant mis 7 ans avant que le diagnostic soit posé, étant passée par 9 chirurgies, se bat au quotidien bénévolement au sein de son association pour que « les jeunes filles d’aujourd’hui et surtout celles de demain ne vivent pas [ce qu’elle] a vécu ». C’est l’objet d’ailleurs de son roman graphique destiné aux 15-25 ans : « L’endométriose de Clara ». 

On peut également retrouver sur le site de l’association des outils d’aide au diagnostic comme l’application Luna et l’application Shiny DEVA.

Les entreprises de toute taille, du grand groupe à la PME, sont de plus en plus nombreuses à solliciter EndoFrance pour venir sensibiliser leurs équipes sur ce qu’est l’endométriose et ainsi changer le regard sur cette maladie invisible. La présidente leur explique que « ce ne sont pas des femmes douillettes ni des chochottes ni des flemmardes. Elles ont une vraie pathologie ». 

Carrefour a d’ailleurs sauté le pas en instaurant à partir de l’été 2023 un congé de 12 jours par an pour les femmes atteintes d’endométriose. Les ressources humaines et les managers peuvent ainsi réfléchir à des actions à mettre en place pour ne pas laisser sur le carreau leurs employées.

Depuis 2022, l’endométriose est devenue un enjeu de santé publique, EndoFrance a beaucoup travaillé avec les équipes ministérielles, les autres associations et les professionnels de santé pour définir trois axes majeurs. 

Parmi les avancées : l’information du public et la formation des professionnels de santé qui ne maîtrisent pas le sujet, la création de filières de soin dans chaque région afin de garantir l’accès aux soins pour toutes et partout d’ici la fin de l’année 2023 ou encore un annuaire de spécialistes de l’endométriose qui sera mis à disposition pour assurer une prise en charge rapide. 

Enfin, mettre l’accent sur la recherche demeure primordial. Aujourd’hui, on ne connaît toujours pas l’origine exacte de cette maladie. 

Laurène se veut critique, en effet il faut diagnostiquer rapidement mais, et après, que propose-t-on à part un traitement hormonal ou de la chirurgie ? 

Cela fait 40 ans qu’il n’y a pas d’autres alternatives.

Des avancées récentes en mars 2023 redonnent de l’espoir. Des chercheurs anglo-saxons des universités d’Édimbourg, d’Aberdeen et de Birmingham, ont observé que des cellules responsables de la maladie produisaient plus de lactate. Il s’agit d’une substance produite en cas de manque d’oxygène. Ils ont donc développé un médicament composé de dichloroacétate,  qui semble ramener à la normale le taux de lactate et ainsi diminuer les lésions. Un essai clinique à plus grande échelle sera réalisé en automne et selon les résultats, cette solution pourrait devenir la première alternative thérapeutique non-hormonale, et non chirurgicale pour soulager les douleurs de l’endométriose.

Une autre piste scientifique au Japon, publiée en juin 2023 dans la revue Science Translational Medicine ouvre le champ des possibles. Les chercheurs de l’université de Nagoya partant de l’hypothèse qu’une infection bactérienne, déclencherait l’endométriose, ont découvert une bactérie présente chez les patientes : la fusobacterium. Elle pourrait être détruite avec un traitement antibiotique. Un essai clinique sur des femmes est en cours, mais nécessitera du temps avant de valider ou réfuter les résultats. 

La présidente d’EndoFrance est positive concernant l’accompagnement des malades : « on a mis 20 ans à attirer l’attention des pouvoirs publics. Ça a été long. Enfin on y est, « l’endo » est connue du grand public et on en a fait un enjeu de santé publique. Maintenant on est à l’ère zéro de l’endométriose. » 


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