La lutte contre l’excision, tiraillée entre prise de conscience, tabou et tradition ?
par Camille Studer
21 janvier 2021

« Les gens pensent que c’est une pratique qui est loin de nous, une pratique exotique. C’est un sujet encore très tabou et dans l’inconscient collectif, nous restons persuadés que ça vient d’ailleurs », c’est avec ces mots que Kakpotia Marie-Claire Moraldo, Fondatrice de l’association Les Orchidées Rouges, décrit l’excision. L’excision qui, dans le monde, représente plus de 200 millions de femmes et de jeunes filles victimes, et 68 millions risqueraient de subir cette pratique d’ici à 2030. De plus, la crise sanitaire de 2020 aurait favorisé une augmentation conséquente du nombre d’excisions dans certains pays, comme la Somalie par exemple.

Si de nombreuses voix s’élèvent contre cette pratique, l’excision est encore largement répandue à travers l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Europe, et jusqu’en France : « Quand on parle d’excision, on pense uniquement aux femmes de l’Afrique subsaharienne, cela rend invisible les victimes issues d’autres régions du monde, car l’excision est un fléau mondial », alerte Kakpotia Marie-Claire.

Difficile de déraciner l’excision, considérée comme une norme sociale, un rite, une coutume, par ceux qui la perpétuent. Pourtant, l’excision est bien une violence faite aux femmes, assortie de souffrances et de séquelles physiques conséquentes et très souvent durables, comme de fortes douleurs chroniques, des hémorragies, des problèmes urinaires, des complications lors de grossesses et d’accouchements… Sans parler de la détresse psychologique dans laquelle se retrouvent de nombreuses femmes. La question de l’excision est tiraillée entre traditions inébranlables, volonté de changement, tabous, et certains pays comme l’Égypte semblent faire la sourde oreille quant à l’urgence de cesser cette pratique.

Mais le combat des associations et des ONG ne faiblit pas, et se voit même renforcé par de nouvelles figures de lutte contre l’excision qui libèrent la parole et refusent de garder le silence. De plus en plus de femmes victimes d’excision sortent de leur réserve et se font une place dans le débat public, empêchant la lutte contre l’excision de tomber dans l’oubli ou d’être relayé au second plan. Les professionnels de santé se rangent aussi en nombre du côté de la lutte et accompagnent les femmes dans leur reconstruction.

 

La reconstruction des femmes

Accompagner la reconstruction des femmes victimes d’excision est essentiel et joue un vrai rôle dans la guérison des victimes et dans la lutte contre cette pratique. Il y a d’abord la reconstruction psychologique, pratiquée par de nombreuses associations. C’est le cas de l’association Les Orchidées Rouges, qui a imaginé des parcours de soins personnalisés et adaptés à chaque femme. Art thérapie, revalorisation de l’image de soi au travers de la socio-éthique, groupes de parole, sophrologie, danse thérapeutique… Autant de moyens pour les femmes de se réapproprier leur corps, leur sexualité, leur rapport aux autres, et de se reconstruire. « Il est primordial de respecter la façon dont les femmes qui viennent nous voir ont vécu l’excision. Si certaines femmes viennent dans le but de protéger leurs filles de l’excision ou parce qu’elles sont elles-mêmes à risque, d’autres femmes que l’on accompagne ne considèrent pas que ce qu’elles ont vécu représente une violence, et voient l’excision comme une tradition », explique Kakpotia Marie-Claire, et d’ajouter, « nous respectons chaque contexte qui se cache derrière chaque femme, afin de pouvoir les accompagner dans les meilleures conditions ».

Accompagner la reconstruction de ces victimes, c’est aussi la mission de La Maison des Femmes, fondée par la gynécologue Ghada Hatem, et qui œuvre auprès des femmes de Seine-Saint-Denis, en région parisienne. L’association, qui a posé ses valises au sein de l’hôpital Delafontaine, offre aux femmes la possibilité d’être accompagnées pour une reconstruction psychologique et physique, grâce à son unité de soins dédiée à ce sujet.

 

Si on ne présente plus le Docteur Denis Mukwege, gynécologue kino-congolais qui « répare » les femmes victimes de viols de guerre et celles victimes de mutilations génitales, et qui a fait de l’excision l’un de ses chevaux de bataille, de nouvelles figures comme Kakpotia Marie-Claire émergent, modernes et disruptives dans leur communication, sans tabou.

 

Le travail de ces associations, et de tant d’autres, se focalise avant tout sur une reconstruction psychologique et globale, la question de la reconstruction physique devant arriver dans un second temps, pour les femmes qui en ressentent le besoin. « Il faut d’abord se réapproprier son corps, la chirurgie vient en complément si cela est nécessaire, et toutes les femmes n’ont pas forcément besoin de cela », précise Kakpotia Marie-Claire.

De plus, en Occident, les professionnels de santé ne sont pas suffisamment sensibilisés à la question de l’excision. Comment accompagner correctement une femme victime lorsqu’on ne détient pas les bons outils pour identifier des signaux faibles, éviter de nouvelles excisions, comprendre la souffrance de ces femmes ? La mission des associations passe aussi par cette étape de sensibilisation auprès des CHU – comme le CHU de Bordeaux pour Les Orchidées Rouges – de travailleurs sociaux, mais aussi auprès de l’éducation nationale afin que la question de l’excision soit traitée dès les bancs de l’école.

 

Ces figures modernes qui libèrent la parole

Si on ne présente plus le Docteur Denis Mukwege, gynécologue kino-congolais qui « répare » les femmes victimes de viols de guerre et celles victimes de mutilations génitales, et qui a fait de l’excision l’un de ses chevaux de bataille, de nouvelles figures comme Kakpotia Marie-Claire émergent, modernes et disruptives dans leur communication, sans tabou.

Leur point commun ? Toutes sont des femmes, victimes elles-mêmes d’excision ou en ayant réchappé de justesse, à l’instar d’Inna Modja, chanteuse franco-malienne et mannequin égérie de grandes marques, qui met sa notoriété au service de la lutte contre l’excision. Elle évoque sans détour son propre parcours et s’est notamment engagée auprès de La Maison des Femmes pour porter la voix des femmes excisées et éveiller les consciences sur le territoire. Waris Dirie, elle, est actrice, mannequin, militante et a été excisée à l’âge de 5 ans. Elle a fait de la lutte contre l’excision un combat à part entière et a créé la Desert Flower Foundation, une association qui œuvre dans de nombreux pays comme la Suède, l’Espagne, la France, ou la Sierra Leone. Desert Flower International mise beaucoup sur l’éducation, avec entre autres, l’ouverture d’écoles dédiées aux jeunes filles et la sensibilisation des parents et des populations.

Au Kenya, Nice Nailantei Leng’ete est une activiste depuis son plus jeune âge, puisque dès ses 8 ans, elle s’est battue pour échapper à sa propre excision. Depuis, elle se bat pour que les autres jeunes filles et femmes de son pays – notamment au sein des tribus Maasaï dont elle est originaire – n’aient plus à subir cette pratique. Nice Nailantei Leng’ete travaille avec l’association pour la recherche et la médecine en Afrique (AMREF), et a permis à plus de 15 000 jeunes Kényanes de se soustraire à l’excision. La jeune militante s’attèle à remplacer peu à peu le rituel de l’excision par l’éducation, en apprenant aux jeunes femmes leurs droits, les conséquences d’un mariage forcé, d’une mutilation génitale, etc. Réelle figure médiatique – elle a d’ailleurs été classée dans le top 100 des personnes les plus influentes en matière de lutte contre les mutilations génitales par le magazine Time – Nice Nailantei Leng’ete n’hésite pas à faire de sa notoriété une force au service de son combat.

Autre figure, politique cette fois-ci, avec Assita Kanko, eurodéputée belge et excisée à l’âge de 5 ans. Assita Kanko utilise sa force politique pour faire une place de choix à la lutte contre l’excision dans le débat public, elle a d’ailleurs tout récemment porté un texte auprès du Parlement européen, afin que l’éradication des mutilations génitales deviennent une stratégie de l’Union européenne.

 

Des victoires pas à pas

Pour Kakpotia Marie-Claire, les choses évoluent, lentement. Si les nouvelles générations associent l’excision à une pratique néfaste et osent prendre la parole pour s’y opposer, de nombreuses femmes se réfugient dans le silence de peur d’être réprimandées, rejetées. En Côte d’Ivoire – pays natal de Kakpotia Marie-Claire – l’excision est maintenant interdite par le gouvernement, mais continue d’être pratiquée à l’abri des regards, isolant encore plus les victimes. Au Togo en revanche, les chiffres de l’excision sont en baisse, et le pays, qui a criminalisé cette pratique il y a plus de 20 ans, a officialisé l’abandon de l’excision comme tradition en 2012 et fait figure de bon élève en Afrique. Les femmes qui pratiquaient l’excision se sont d’ailleurs vues attribuer des micro-crédits par l’État afin d’accompagner leur reconversion, et d’éviter que l’excision continue d’être pratiquée à l’abri des regards. Le Soudan a aussi récemment criminalisé cette pratique.

Il faut tordre le cou aux traditions pour faire nettement évoluer les mentalités : « Le discours doit être constructif car on parle d’une tradition pratiquée depuis des décennies, d’un marquage identitaire. Il faut amener les populations à découvrir une autre réalité sans avoir un discours de donneur de leçon et sans être focalisé sur la sexualité, car l’excision est bien plus que ça, c’est une forme d’intégration sociale », indique Kakpotia Marie-Claire. Par ailleurs, pour la Fondatrice des Orchidées Rouges, il faut aujourd’hui faire un pas vers une stratégie globale de lutte contre l’excision, et créer des ponts entre les différents pays qui la pratiquent, afin que ce fléau soit « pris à bras-le-corps dans les politiques de santé publique, au niveau international ».

Découvrez aussi ICI notre article sur le même thème écrit en partenariat avec Lensational. 

 


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