Le combat contre la précarité menstruelle avance
par Camille Studer
2 décembre 2020

500 millions de femmes seraient confrontées chaque mois à la précarité menstruelle. En cause ? Les tabous autour des règles, le poids des traditions, le manque d’information, la difficulté d’accès aux protections périodiques ou encore l’extrême pauvreté. Ces femmes qui subissent cette précarité sont souvent contraintes de choisir entre les règles et le reste. Dans certains pays en développement, les jeunes filles qui ont leurs règles restent cloîtrées chez elles au détriment de leur scolarité, d’autres n’ont pas d’accès direct à l’eau et vivent leurs cycles menstruels dans des conditions d’hygiène déplorables.

A travers le monde, les femmes en grande précarité financière doivent choisir entre se nourrir et se procurer des protections hygiéniques. Ce phénomène existe depuis des années, mais la prise de conscience de l’opinion publique est beaucoup plus récente.

Grâce au travail acharné de diverses organisations à travers le monde, la question des règles prend de plus en plus de place dans les débats, allant même jusque dans les sphères gouvernementales. Le combat est loin d’être achevé, certes, mais force est de constater que désormais on ose aborder le sujet de la précarité menstruelle sans tabou, et nombreux sont ceux qui s’activent pour extirper les femmes de cette précarité.

 

L’Ecosse, le pays précurseur

En 2018, l’Ecosse a pris tout le monde par surprise en devenant la première nation au monde à distribuer gratuitement des protections hygiéniques pour ses quelques 395 000 élèves et étudiantes. Avec cette mesure, l’Ecosse a permis aux jeunes filles de ne plus avoir à choisir entre vivre ses règles décemment et se nourrir ou aller au collège ou à l’université. En effet, jusqu’alors, une jeune fille sur 10 n’était pas en mesure chaque mois de pouvoir se procurer des protections hygiéniques car trop chères, et plus d’une jeune fille sur 10 devait trouver un moyen alternatif pour se protéger pendant ses règles. Par ailleurs, cette mesure phare a permis de mettre fin au tabou des règles et au sentiment de « honte » qui peut y être associé, et qui était ressenti par 71 % des jeunes filles du pays.

L’Ecosse ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, et en février 2020, le Parlement écossais a adopté la proposition de loi, portée par la députée Monica Lennon, légiférant la gratuité des protections périodiques pour toutes les femmes du pays.

Une loi définitivement adoptée par le Parlement écossais le 25 novembre dernier. Encore une première mondiale pour l’Ecosse donc qui, avec cette loi, permet non seulement aux femmes d’être assurées de vivre leurs règles dignement, mais aussi de pouvoir accéder simplement aux produits d’hygiène, puisque l’Ecosse prévoit de rendre les protections périodiques accessibles simplement dans les pharmacies, les centres d’accueil, les collèges, les lycées, etc. Une vraie révolution est en marche.

 

Règles Élémentaires, l’association qui fait bouger les lignes en France

L’association Règles Élémentaires fait aussi figure de précurseur à son niveau, et a été la première structure à organiser une collecte de produits hygiéniques en France, en 2015. « Avant de lancer le projet Règles Élémentaires, j’étais persuadée qu’il n’y avait pas de phénomène de précarité menstruelle en France, car on n’en entendait jamais parler », explique Tara Heuzé-Sarmini, fondatrice de l’association. Or, 1,7 million de femmes en France subissent chaque mois la précarité menstruelle, et selon une étude menée par l’Ifop en 2019, 39 % des femmes les plus précaires disposent d’un accès insuffisant aux protections périodiques, obligeant 17 % d’entre elles à ne pas se rendre au travail durant leurs règles, par manque de protections.

Règles Élémentaires a donc pris le sujet à bras-le-corps et 5 ans plus tard, cette initiative a permis de briser le tabou des règles en France grâce à des actions de sensibilisation en milieu scolaire, des formations à l’hygiène menstruelle, etc.

La structure a également permis la redistribution de plus de 4 millions de protections périodiques, dans le cadre de mille collectes bénévoles organisées dans toute la France, et dont 100 000 femmes ont pu bénéficier.

« Nous avons également obtenu la gratuité de 5 références de produits d’hygiène dans toutes les prisons et maisons d’arrêt ayant des quartiers de femmes », précise Tara, et d’ajouter : « En France, on a commencé par la voie de l’expérimentation et on y a rattaché un budget. Maintenant, le Gouvernement en parle et agit, les choses évoluent dans le bon sens ».

En effet, en 2020, le Gouvernement a acté la mise en place d’une expérimentation visant à mettre à disposition des protections périodiques pour les femmes précaires. Sont concernées par cette expérimentation les élèves du second degré, les étudiantes, les femmes sans abri, les femmes détenues, ainsi que les femmes dans une situation de grande pauvreté.

La lutte contre la précarité menstruelle est donc bien lancée en France, mais la route est encore longue. Pour Règles Élémentaires, l’objectif est « de ne plus avoir besoin d’exister, d’obtenir la gratuité de protections de qualité dans tous les lieux clés comme les collèges, lycées, universités, hôpitaux et centres d’hébergements d’urgence », et il est aussi primordial que ce sujet « intègre l’espace public et qu’il y ait des distributeurs dans la rue, dans les hôtels, les restaurants ou les bars ». Affaire à suivre donc pour la France, déjà bien engagée sur la bonne voie.

 

Au Cameroun, l’entreprise qui défie le tabou des règles

Cela fait près de 10 ans qu’Olivia Mvondo, entrepreneuse camerounaise, s’est attaquée à la question de la précarité menstruelle. En Afrique, une femme sur 10 ne se rend pas à l’école lorsqu’elle a ses règles et bon nombre d’entre elles méconnaît ce sujet, très tabou sur le continent, et qui se confronte au poids des croyances et des traditions. « Au Cameroun, il arrive encore qu’on dise à une jeune fille de ne pas cuisiner pendant ses règles, car les plats seraient ratés », alerte la fondatrice. Pour lutter contre ce fléau et pour limiter la déscolarisation des jeunes filles, Olivia Mvondo a créé KmerPad, une entreprise qui produit et fournit des protections périodiques réutilisables.

Pour ce faire, l’entreprise a imaginé des kits de serviettes hygiéniques, qui permettent aux jeunes filles d’être autonomes durant dix-huit mois. Ces kits sont vendus à un prix très économique, et distribués gratuitement auprès des centres de réfugiés ou des populations en grande précarité. Par ailleurs, KmerPad réalise de multiples campagnes de sensibilisation pour lever le tabou des règles et transmettre aux femmes les bons réflexes en matière d’hygiène menstruelle. Un travail d’accompagnement et de prise de conscience est fait au sein des prisons, des centres de réfugiés, des villages isolés, ou encore des établissements scolaires.

L’entreprise, qui a reçu le grand prix de la finance solidaire en 2019, a déjà permis à 5 175 femmes d’être sensibilisées à la question de la précarité menstruelle, et a distribué plus de 250 000 protections périodiques à travers le pays.

Pour en savoir plus et si vous ne l’avez pas encore vu, nous vous conseillons le documentaire oscarisé en 2019 « Period. End of Sentence » qui brise le tabou des règles en Inde. Toujours disponible sur Youtube et Netflix.

 


A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.

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