Entre la fermeture des centres d’IVG (interruption volontaire de grossesse), la peur de “déranger”, et les rendez-vous annulés : les femmes sont de moins en moins nombreuses à avoir recours à l’IVG depuis le début du confinement. Pour les associations féministes et les gynécologues-obstétricien·nes, la crise du COVID-19 ne fait que révéler les failles d’une loi sur l’avortement votée en 1975, et qui doit absolument être révisée.
“Le gouvernement lâche les femmes et les médecins”, tweetait Laurence Rossignol le 20 mars dernier, encore amère après sa sortie du Sénat. L’amendement proposé par la sénatrice pour allonger les délais légaux de 2 semaines pour pratiquer une IVG venait alors d’être refusé par le gouvernement. “L’IVG n’est pas considérée comme une urgence. Le fait que le gouvernement refuse de prolonger de seulement 2 semaines les délais est tout à fait scandaleux”, déplorait de son côté Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes.
Refus des ministres @olivierveran @murielpenicaud d’aménager l’accès à l’#IVG pendant la crise sanitaire. Les professionnels sont inquiets. Il y aura de nombreuses femmes hors délai et des services perturbés. Le gouvernement lâche les femmes et les médecins. pic.twitter.com/toOxxIIPUv
— Laurence Rossignol (@laurossignol) March 20, 2020
Si de nombreuses associations et professionnel·les de la santé réclament des délais légaux plus longs pour avorter, c’est d’abord parce que le confinement rend difficile l’accès à ce soin. “Il y a une peur de dire que les professionnel·les de santé sont débordé·és, et il y a donc une volonté de ne pas déranger… C’est à nous de dire que l’IVG reste une urgence médicale, pour laquelle il ne faut pas hésiter à consulter”, explique Laura Berlingo, gynécologue et obstétricienne à la Pitié Salpêtrière.
“Le risque, c’est que les femmes soient obligées de ne pas avorter. Il faut se rappeler qu’il y a 5 000 femmes qui se trouvent hors délais chaque année en France, et qui sont obligées de partir à l’étranger pour interrompre leur grossesse”, rappelle Suzy Rojtman. Un déplacement déjà coûteux, et qui est aujourd’hui devenu presque impossible à cause de la fermeture des frontières et du confinement. “Il n’y a plus aucune soupape de sécurité pour les femmes soumises aux délais. Il faut qu’elles puissent se faire avorter en France”, exige Suzy Rojtman, espérant que “la crise relance la discussion nécessaire sur les délais d’avortement en France, mais aussi sur la clause de conscience”. Une clause spécifique à l’IVG, qui stipule qu’“un médecin n’est jamais tenu de donner suite à une demande d’IVG, ni de pratiquer celle-ci”.
Un sentiment partagé par Laura Berlingo, qui souhaiterait que la loi permette “d’éviter aux femmes de payer 2 000 euros pour aller aux Pays-Bas”. “Elles ont besoin de ressources sociales et financières pour être informées, y aller, payer l’intervention. Tout ce qu’on fait, c’est créer des inégalités sociales”, estime-t-elle.
D’un droit “accordé” à un acte médical courant
Si l’accès à l’IVG semble aujourd’hui se trouver en danger, c’est parce que la loi sur l’avortement le présente comme “un soin que l’on considère à part, et qui est une sorte de droit que l’on tolère aux femmes”, estime Laura Berlingo. L’obstétricienne souhaiterait que la vision de la société évolue, et que l’on regarde l’IVG non plus “à travers le prisme du droit des femmes, mais comme un soin courant, dont les femmes peuvent disposer”.
Or, l’IVG est aujourd’hui très encadré, par les délais légaux, mais aussi par le caractère obligatoire des consultations, le délai de réflexion d’au moins 48 heures pour les mineures suite à la consultation psycho-sociale, ou encore la clause de conscience.
“Il y a aussi le fait que l’IVG médicamenteuse se pratique dans de nombreux pays jusqu’à 9 semaines de grossesse, à la maison. En France, c’est 5 semaines de grossesse, ou 7 semaines à l’hôpital, alors que ça n’a aucune justification médicale. C’est une médecine patriarcale et infantilisante qui vise à contrôler le corps des femmes”, déplore l’obstétricienne. “En tant que gynécologue, femme, et féministe, je pense qu’il faudrait abolir le délai légal, car si l’on arrête de voir les choses d’un point de vue moral, mais par le seul prisme de l’autonomie des femmes : faire une IVG à 7 semaines, 12, ou 32, ça ne regarde ni le médecin, ni le législateur, mais simplement la femme. D’autant que dans la grande majorité des cas, les femmes n’attendent pas, et celles qui se retrouvent hors délais, ce n’est jamais de leur volonté”, explique-t-elle, certaine que “sans la clause de conscience et les délais, il y aurait beaucoup moins de problèmes d’accès à l’IVG, Covid-19 ou pas”.
Si la loi sur l’avortement semble particulièrement difficile à remanier, c’est en partie parce que “l’histoire de la lutte pour l’avortement est très longue en France”, estime Suzy Rojtman. “Quand la loi de 1975 a été votée, il y avait beaucoup de restrictions, notamment pour les mineures, les étrangères, etc. On a en France encore beaucoup d’opposants à l’avortement, qui essayent à la moindre occasion de faire reculer ce droit fondamental des femmes”, analyse-t-elle.
Des changements soutenus par l’OMS
Pour faire entendre le caractère urgent et nécessaire de l’IVG, une pétition a récemment été lancée par le “Collectif Avortement en Europe : les femmes décident”, et plus d’une centaine de professionnel·les de l’IVG ont signé une tribune dans Le Monde. Ils réclament trois mesures d’urgence, soutenues par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) :
- Que les avortements puissent être autorisés par voie médicamenteuse au domicile jusqu’à sept semaines de grossesse (soit neuf semaines d’aménorrhée)
- Que “les mineures soient dispensées du délai de 48 heures qui leur est actuellement imposé avant leur IVG et puissent bénéficier d’une IVG dans la foulée de leur première consultation”
- Que des aspirations puissent être réalisées jusqu’à quatorze semaines de grossesse, “à titre exceptionnel pendant la durée du confinement”
La porte-parole du Collectif national pour le droit des femmes attend aussi la “remise sur pied de tous les Centres d’IVG qui ont été fermés”. “Il a eu beaucoup de fermetures de maternités de proximité, dans lesquelles se trouvent les centres d’IVG. C’est donc de plus en plus compliqué d’avoir accès à l’IVG, et ce sont des choses que l’on dénonce depuis longtemps. La crise sanitaire actuelle révèle les troubles de la politique qui a été mise en place, et des choix qui ont été opérés”, assure Suzy Rojtman.
Les médecins “prêt·es à défier la loi”
Depuis le début du confinement, certaines mesures, officielles ou non, ont tout de même été prises. Depuis le 03 avril 2020, le ministère de la Santé a annoncé que les consultations pour les IVG médicamenteuses peuvent désormais se faire par téléconsultations. Pour contrer les complications qui touchent les mineures, certains centres ont fait le choix de déroger aux règles habituelles. “Nous avons rapidement supprimé en interne l’obligation de délai de 48h de réflexion après le premier rendez-vous, car elle est contradictoire avec le confinement”, explique ainsi Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne et fondatrice de La Maison des femmes.
Dans la tribune du Monde, les médecins concluent en assurant qu’ils et elles sont “prêt·es à [se] mettre hors-la-loi pour appliquer les trois mesures” évoquées plus haut. “Si dans 2 semaines ou un mois certaines femmes souhaitant une IVG qui, parce qu’elles ont n’ont pas pu consulter, se retrouvent à 15 semaines de grossesse, j’espère qu’il y aura des médecins pour dire “On vous avait prévenus, et ces IVG, nous allons les faire””, déclare Laura Berlingo. “On pourra toujours détourner la loi, puisqu’en France, il est possible de faire une IMG (interruption médicale de grossesse) jusqu’au terme de la grossesse. Cela ne sera pas à cause d’une maladie incurable du foetus, ou du fait de la mise en danger de la mère, mais pour des raisons sociales. C’est s’imposer une gymnastique de l’esprit, et mettre les femmes dans des situations compliquées, alors qu’il suffirait de dire, qu’au moins de manière exceptionnelle, pendant le confinement, on passe à 14 semaines de délai”, déplore-t-elle.
Ghada Hatem abonde, tout en anticipant le fait que “si des aspirations hors la loi sont pratiquées, elles le seront dans de bonnes conditions sanitaires”. “Si les médecins défient les lois, nous serons là pour les soutenir, et on nous entendra”, affirme quant à elle Suzy Rojtman.
Suite à ces revendications, jeudi 9 avril, la Haute Autorité de Santé (HAS) a accepté d’étendre l’IVG médicamenteuse à domicile à neuf semaines (SA) au lieu de sept semaines*. Une première victoire donc…
*Pour rappel : la 7ème semaine de grossesse correspond à 9 semaines d’aménorrhée (absence de règles). En France, les gynécologues comptent généralement la durée de la grossesse en semaines d’aménorrhée (SA). Le calcul de la grossesse commence donc au 1er jour des dernières règles, soit environ 2 semaines avant le début proprement dit de la grossesse.
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