Vaccin, prise de sang, cathéter, blouse blanche, anesthésie, chirurgie… Des mots qui suffisent à évoquer dans notre imaginaire d’adulte, tout l’inconfort de la froideur des soins nécessaires. Que ressent alors un enfant avec ses yeux de deux, cinq ou bien douze ans, confronté au milieu médical ? Comment appréhende-t-il cette expérience alors qu’il balbutie à peine ses premiers mots ? Et pourtant, nul n’échappe aux nombreuses visites médicales de la naissance à l’adolescence.
Cette question, Catherine Devoldere se la pose quotidiennement lorsqu’elle commence à exercer son métier de pédiatre dans les années quatre-vingt-dix. « Je cherchais comment soulager la douleur des enfants, je ne trouvais rien. À cette époque-là, les enfants, on leur mettait une perfusion ou des sondes dans le nez, on les attachait pour ne pas qu’ils l’arrachent, L’horreur. Moi, je voulais soigner des enfants. Mais je n’étais pas du tout d’accord sur la manière de les soigner », témoigne-t-elle.
« Les patrons à l’époque me disaient que la douleur était nécessaire au diagnostic (…) très vite, j’ai fait de la cancérologie et je trouvais terrible d’être obligée de ponctionner dans l’os d’un enfant pour faire un myélogramme alors que je n’avais rien pour soulager sa douleur. »
Découragée, elle hésite alors à abandonner la pédiatrie. Elle fait mieux que cela et décide de poursuivre avec un objectif en tête : « Si je reste, il faut que je change les choses et je n’adhérerai jamais à soigner dans ces conditions ». Son parcours de militante pour mieux soigner les enfants démarre. Elle va vite se former à la gestion de la douleur proposée à l’époque uniquement à destination des patients adultes ainsi qu’à l’hypnoanalgésie afin d’agir sur la douleur, l’anxiété et la phobie générées par les soins.
Elle se fait vite remarquer pour son engagement et rejoint en 2003 les rangs de l’association Sparadrap, lancée en 1993 par des parents et des professionnels de santé, qui œuvrent pour informer les familles sur le parcours de soin et mettre en place une prise en charge ludique, adaptée aux enfants. Après avoir dédié quatre années à la vice-présidence et 13 ans à la présidence, Catherine Devoldere demeure administratrice de l’association aujourd’hui. Elle nous fait part des bonds de géant concernant l’humanisation des soins des enfants, qu’a fait le système de santé français depuis.
« J’étais atterrée de voir que le médecin s’adressait aux parents en disant « On va lui faire ça, on va l’opérer… » Et on ne s’adressait pas à l’enfant, on ne lui disait pas ce qu’on allait lui faire. Et moi, je voyais des petits qui partaient quelques fois comme ça au bloc en se demandant ce qui leur arrivait. J’ai eu des appels de soignants pour des enfants en état panique, qu’on n’arrivait pas à calmer, car on ne leur avait pas expliqué qu’on allait les opérer. »
L’association Sparadrap s’attelle alors à la problématique majeure : l’information des jeunes patients sur les soins qui les attendent.
La pédiatre prend l’exemple d’une radiographie du thorax : « Parfois, ça ne fera pas mal du tout. Mais la façon dont on va mettre l’enfant contre la plaque peut effrayer, c’est froid et il ne comprend pas le geste ».
L’ancienne présidente de l’association nous rappelle qu’elle s’est aussi battue pour la place des parents en milieu hospitalier, et cela avec son lot de difficultés. D’ailleurs, le combat est toujours d’actualité.
« Maintenant dans les nouveaux services de chirurgie pédiatrique, on prévoit que le parent puisse être en salle de réveil et on a montré que lorsque l’enfant ouvre les yeux et voit son parent à ses côtés, on mettra beaucoup moins d’antalgiques. La douleur, c’est une sensation, mais c’est aussi une émotion. Or, lorsque vous êtes anxieux et stressé, vous majorez votre perception de la douleur. Un parent qu’on implique dans les soins, ça va tout changer. La place des parents, c’est ce que je n’arrête pas de dire, ça ne s’improvise pas. Cela doit se penser, se réfléchir en équipe. »
Catherine Delvoldere est convaincue que « le parent doit être un partenaire et pas juste un visiteur. »
Aujourd’hui, des textes juridiques et réglementaires existent et donnent des droits à l’enfant soigné et hospitalisé : celui d’être informé, d’être soulagé de la douleur, de pouvoir jouer, de poursuivre sa scolarité, d’avoir un parent auprès de lui toute la journée, et même la nuit… Les droits des familles sont expliqués sur la page du site Sparadrap dédié à cet effet. Des droits à la visite des parents sans limitation y figurent en effet « mais ce n’est pas le cas dans tous les centres partout en France. On ne peut pas être assuré aujourd’hui d’un enfant qui arrive dans un service, que le parent pourra rester jour et nuit. »
En trente ans, la médecine pédiatrique s’est considérablement améliorée pour enfin soulager la douleur des enfants. Les professionnels de santé ont désormais des solutions médicamenteuses : ils peuvent leur anesthésier la peau avec une crème, leur faire respirer le gaz MEOPA ou encore leur donner une dose de morphine si besoin. Sans compter les thérapies dites « non-médicamenteuses » telles que la distraction et l’hypnoanalgésie, qui se sont beaucoup développées.
Un terrain sur lequel l’association Sparadrap s’est engagée en proposant plus de 20 formations aux professionnels de santé pour améliorer l’accueil des enfants dans les structures de soins, notamment sur la gestion de la douleur, l’accueil des enfants en laboratoires de ville pour des prélèvements, le relationnel, l’écoute, l’empathie ainsi que les techniques d’hypnoanalgésie et de distraction en pédiatrie.
Les apprenants ne cachent pas leur satisfaction : « Je ressors de cette formation avec de nouvelles compétences que je pourrai mettre en place dans le service. J’ai plus d’outils qui me permettront de travailler avec un enfant qui est douloureux et qui a peur. »
En effet, le pouvoir de la distraction n’est pas négligeable.
Il y a parfois des choses aussi simples à instaurer qu’un tube de bulles de savon dans le tiroir du docteur : « J’ai un super souvenir d’avoir vacciné un petit garçon qui était en train d’attraper des bulles avec le sourire et pourtant l’un des vaccins faisait très mal », raconte Catherine Devoldere.
Le pédiatre peut aussi proposer à l’enfant de ramener un objet qui lui plaît ou le rassure pour la prochaine visite ou le prochain vaccin : un doudou, un jouet…
« Distraire un enfant ça fait baisser le seuil de la douleur, ça, c’est certain. Mais les techniques d’hypnoanalgésie, c’est beaucoup plus puissant encore, je ne veux pas dire qu’on va neutraliser la douleur, mais presque. Quand vous distrayez quelqu’un, vous baissez d’un point l’intensité de la douleur. Quand on fait de l’hypnose, vous annulez quasiment la perception de la douleur, ils peuvent dire « j’ai senti ». Mais ils ne vont pas dire « j’ai eu mal ». »
La pédiatre partage l’anecdote de cette petite fille qui lui disait avec ses mots : « Docteur, quand est-ce que tu me fais le « pique » ? … Mais je te l’ai déjà fait « le pique », elle était complètement partie dans son voyage. »
Catherine Devoldere est formelle : « Si on veut être bienveillant avec les enfants et les parents, il faut penser avant les soins, comment faire au mieux pour les soulager, pour les informer ».
L’association a d’ailleurs créé des contenus téléchargeables gratuitement via le site www.sparadrap.org expliquant aux enfants les gestes du soin qui pourraient les concerner : une prise de sang, une opération, une hospitalisation, un vaccin, un rendez-vous chez le dentiste, une ponction lombaire… Le podcast « Un P’tit bout de Sparadrap » a aussi été lancé pour les parents.
« Un des guides phares s’intitule “je vais me faire opérer, alors on va t’endormir“. On a même décliné pour les plus petits des petites vidéos qui s’appellent “Dis-moi Sparadrap“ ».
La pédiatre tenait aussi à ce qu’on n’oublie pas les adolescents, en publiant un livret à destination des filles “Ma première consultation gynéco“. Les garçons aussi se posent des questions sur leur intimité et n’iront pas forcément voir un urologue, ni n’oseront en parler à leur médecin traitant : ils peuvent consulter le guide appelé “Ton corps change“ pour trouver des réponses. Les écoles peuvent d’ailleurs commander ces livres.
L’ancienne présidente de l’association encourage également les services des urgences ou tout autre lieu médical à imprimer des QR codes des fiches ou des vidéos des soins destinés aux enfants et de les afficher en salle d’attente. « Idéalement, il faudrait que les centres de santé commandent ce contenu en livret imprimé, mais pour cela, il faut un budget dédié qui diminue malheureusement chaque année », déplore-t-elle : « On vit une vraie crise. ».
« Il y a vraiment la possibilité de mieux soigner les enfants qu’avant mais cela demande un investissement de chaque soignant et un souci d’une réflexion de service. On manque de personnel et on ne nous donne pas toujours les moyens de pouvoir faire ce qu’on voudrait faire. Je pense que le “comment mieux soigner“ peut-être mis à mal. »
Elle illustre son propos : « Lorsque je travaillais en cancérologie, l’infirmière me disait, “si j’ai trois poches de chimio à poser en même temps alors je ne peux pas passer autant de temps nécessaire avec un enfant et sa famille“ ».
Cependant, même si les temps sont durs, on peut aussi compter sur de belles actions publiques de bénévoles pour améliorer la relation soignant-enfantet démystifier la peur de la blouse blanche.
Emma Mouronval et Lise Adam, deux étudiantes de 19 ans en troisième année de médecine sont vice-présidentes pour un mandat de 2024 à 2025 d’un drôle d’hôpital, l’Hôpital des nounours de Lille. Aspirant au métier de pédiatre depuis l’âge de 6 ans, Emma Mouronval a adoré l’idée de devenir « nounoursologue », le nom donné aux 120 bénévoles qui participent à cette initiative où les enfants découvrent le monde hospitalier en soignant presque pour de vrai leur doudou.
Cet hôpital éphémère et annuel a été mis en place par l’ACEML (l’Association corporative des étudiants en médecine de Lille). Le Teddy Bear Hospital est né en Allemagne en l’an 2000 et s’est décliné partout dans le monde notamment en France en 2004 dans 38 facultés de médecine recevant depuis plus de 10 000 enfants chaque année.
Emma Mouronval nous explique les trois temps clé de l’Hôpital des nounours : « On reçoit des candidatures d’écoles qui veulent participer. On en sélectionne sept donc ça fait quatorze classes. Les bénévoles vont dans ces écoles deux fois, une première fois, ils y vont pour prendre contact avec les enfants qui sont en CP-CE1. On leur demande s’ils connaissent le métier de médecin, on leur présente une petite mallette avec les objets qu’utilise le docteur pour établir une relation de confiance et montrer la blouse blanche, le stéthoscope… »
La future pédiatre se rappelle que lors de sa participation l’année précédente dans une école lilloise, les enfants avaient tendance à avoir des idées reçues sur le milieu médical alimentant leur appréhension« Je me souviens d’une petite fille qui ne parlait pas, qui avait peur quand on est arrivés en blouse blanche. Mais la fois d’après, elle s’est complètement ouverte, elle rigolait. »
La deuxième étape consiste à retourner dans ces écoles à quelques semaines d’intervalle pour soigner le doudou de chaque enfant. « Cette fois-ci, on ramène des carnets de santé qu’on a créés. Ainsi, les enfants remplissent les informations sur leur peluche puis le soin du doudou commence : on mesure le doudou, on le pèse, on dit son âge, enfin on fait des courbes, exactement comme pour un vrai carnet de santé. »
Ces mêmes enfants sont ensuite invités avec leur peluche malade à se retrouver en mars à l’occasion de la semaine de l’Hôpital des nounours, organisée au sein de la faculté de médecine de Lille : « On aura installé un grand hôpital provisoire pour que les enfants viennent soigner leur doudou aux différents stands : ophtalmologie, dermatologie, audition, radiographie, dentaire, plâtre… »
Les enfants remplissent les pages du carnet de santé de leur peluche au fil des 20 stands, ils manipulent du matériel médical, échangent avec les docteurs en herbe et apprennent même à recoudre un ourson au stand de chirurgie.
Une cinquantaine de particuliers peuvent également s’inscrire en ligne à quelques semaines de cet événement pour venir avec leur enfant, il suffit de surveiller les comptes Instagram et Facebook de l’association. Au total, environ 400 enfants seront conviés. Ils repartiront tous avec un nounours pack offert sur une thématique de santé changeant chaque année. Le sport étant à l’honneur pour 2025. Les écoles souhaitant s’inscrire doivent le faire au mois de juin par email. L’association intervient également au sein des Instituts Médicaux Educatifs et ambitionne cette année de faire participer les enfants de l’Institut des jeunes aveugles de Lille.
« On veut surtout que les enfants qui sortent de l’Hôpital des nounours aient moins peur quand ils iront chez le docteur et qu’ils soient rassurés et contents d’avoir essayé les différents stands », souligne Emma Mouronval.
L’enjeu est double car pour ces étudiants en médecine, c’est souvent la toute première interaction avec des patients aussi jeunes : « On n’a pas tous des stages en pédiatrie, on n’est pas forcément tous au contact des enfants donc je pense que c’est bénéfique dans le sens de l’étudiant aussi. Cela permet déjà d’avoir un premier aperçu de la relation enfant-soignant qui n’est pas du tout pareil que la relation adulte-soignant. »
« Les nounoursologues » prennent leur rôle très à cœur :« On doit savoir s’adapter à chaque enfant,pour réussir à lui dire de ne plus avoir peur et lui expliquer comment ça se passe en trouvant les bons termes, c’est vraiment s’adapter sur le moment et c’est un peu plus compliqué parce qu’ils sont très spontanés et curieux. »
Lors de sa deuxième intervention dans l’école, Emma et ses collègues bénévoles ont eu le droit à des câlins et des dessins :« On a posé la question : qui voudra travailler dans le milieu médical plus tard pour être médecin ou infirmière ? Et il y a eu les trois-quarts des mains levées. C’est peut-être parce qu’on venait juste d’intervenir, mais ça nous a fait plaisir de voir qu’on leur avait donné l’envie de s’intéresser au monde médical. »
Sparadrap et L’Hôpital des nounours sont autant d’associations qui n’hésitent pas à investir de leur temps et ont besoin de bénévoles et d’ambassadeurs numériques pour diffuser leurs messages au plus grand nombre ; aux familles et aux acteurs du système de santé.
Pour mieux soigner les plus jeunes, la communication harmonieuse entre le trio « enfant-soignant-parents » est cruciale. Les mots de la pédiatre militante, Catherine Devoldere, parlent d’eux-mêmes : « Quand on a moins peur, on a moins mal, les enfants sont les adultes de demain qui auront été soignés avec bienveillance. »
Crédit photo couverture : Hopital des Enfants Lille