« On n’a plus d’excuse, on ne peut pas dire « je ne savais pas » », m’écrit une jeune maman en faisant référence à la pluie d’informations en tout genre sur la parentalité, affluant des mille canaux de communication de notre ère digitale.
Une autre me confie exactement la même chose dans le questionnaire envoyé pour la rédaction de cet article : « Aujourd’hui, on s’informe sur comment aider nos enfants à se développer le mieux possible, ce qui est à la fois merveilleux pour nos petits, mais on n’a plus le droit à l’erreur ».
Un père d’un enfant de 3 ans et demi, dit également ressentir « la pression sociale » provoquée par « la quantité de conseils que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux nous montrant la famille parfaite. »
Éducation positive, méthode Montessori, allaitement, co-dodo, alimentation faite maison… Les articles se multiplient et les parents ne peuvent s’empêcher de se demander comment faisaient les parents d’avant, les générations passées ?
Une jeune maman de deux enfants, répondant à mes questions, me rapporte les paroles de ses propres parents, qui lui répètent souvent que : « Notre génération se prend beaucoup trop la tête, submergée par des injonctions parfois contradictoires issues de la masse d’information pas toujours utile, que nous prodigue internet et à laquelle ils n’avaient pas accès à leur époque. »
Une troisième mère ajoute : « Contrairement aux générations précédentes, on élève nos enfants sans “ village ” : souvent, les deux parents travaillent et les grands-parents vivent loin. C’est beaucoup plus facile d’arriver au burn-out avec toute la charge mentale, parfois répartie inégalement entre les parents ou pour les parents célibataires. Nous sommes aussi la première génération aussi fan de psychothérapie et de connaissance de soi, ce qui nous emmène à réfléchir à chacun de nos gestes : “ Comment est-ce que cela va impacter les émotions et la vision du monde de mon enfant ? ” »
À trop se poser de questions, certains parents sombrent parfois dans la surprotection. Le concept d’hyper-parentalité voit le jour et est théorisé dans les années 1990 aux États-Unis. Il s’agit d’une forme d’éducation parentale exigeante où l’on pense pouvoir anticiper et contrôler l’environnement, les actions et le comportement de son enfant pour qu’il soit heureux. Cet excès d’attention en devient toxique pour la relation parent-enfant.
L’expression du parent-hélicoptère vous est peut-être familière ?
C’est l’image de ces parents qui surveillent de près leur progéniture et interviennent presque avant même qu’un problème ne surgisse. Dans son livre Comment lâcher prise sans laisser faire avec son enfant ?, Bruno Humbeek, psychopédagogue spécialiste de l’éducation familiale, parle aussi du « parent curling ».
Ce concept fait référence à ce sport où les joueurs se mettent à balayer la glace pour influer sur la trajectoire du palet, lancé vers la cible alors même que cette action a très peu d’impact. Cette métaphore nous ramène au parent pensant pouvoir contrôler l’épanouissement de son enfant. Résultat, l’enfant étouffe et le parent stressé est sous pression. Cette situation atteint souvent son paroxysme à l’adolescence.
Alors, vers qui se tourner lorsque l’on est un parent qui agit de la sorte ou perd pied ?
C’est à cette question, qu’une maman solo anxieuse il y a douze ans, décide de répondre en créant une association de parents d’adolescents : « J’ai trouvé gênante cette dichotomie du parent qui protège son enfant et qui étouffe en même temps sa créativité. » Cette femme s’appelle Florence Meyer. Ainsi, sous une impulsion de citoyenneté, elle fonde Quokka en 2011.
De prime abord, on pense à un sigle. Or, il s’agit du nom d’un petit kangourou australien qui a une poche de gestation pour porter son bébé. La fondatrice explique : « Je souhaitais à la fois lier l’image de la parentalité avec l’idée de cocooning que l’association pouvait apporter aux parents. Dans la poche de gestation de Quokka, on pouvait aussi bien y mettre les parents que les adolescents. Cette poche représentait vraiment le lieu très intense où l’on naît et l’on grandit afin de travailler sur le lien entre le parent et l’adolescent. »
Elle se lance alors dans ce projet, corps et âme, se forme au coaching en parentalité et orientation puis finit par lâcher son métier de l’époque pour se consacrer pleinement à sa nouvelle vocation, fruit de son parcours de vie, personnel et professionnel.
L’objectif premier de son association n’est pas de donner des leçons : « De ne surtout pas dire “Vous allez savoir comment être parent d’ados”, mais plutôt d’essayer de vous aider à débroussailler le terrain ». Comment ? En créant des outils d’auto-coaching et non pas une méthode unique à reproduire à la chaîne dans chaque foyer.
« Je voulais vraiment travailler sur la transmission. Qu’est-ce qu’un parent peut transmettre ? Qu’est-ce qu’un ado peut entendre ? Il était important pour moi de travailler sur les outils que je pouvais mettre à disposition des parents, qu’ils puissent les utiliser durant les ateliers ou seuls par la suite. »
Florence Meyer se souvient d’une remarque entendue au sujet de Quokka : « On m’a dit que c’était une association pour que les parents d’ados soient heureux… Surtout pas ! », précise-t-elle, car elle rejette le diktat du bonheur permanent des temps modernes, cette tendance à l’ « happycratie », royaume du développement personnel et de la pensée positive.« Au contraire, le but est avant tout d’accompagner les parents à se saisir des outils pour qu’ils puissent justement se libérer de cette charge de la parentalité parfaite et que cela devienne quelque chose de plus fluide ».
L’association organise donc des ateliers, des conférences, des cafés avec les parents. Aux mots, Florence Meyer préfère les dessins pour dénouer des situations conflictuelles parents-enfants. À la création de Quokka, elle décide de collaborer avec des dessinateurs de presse afin qu’ils illustrent des concepts : « Par exemple, comment expliquer par le dessin que les parents peuvent avoir une idée différente de celle des enfants ? ». Les pictogrammes ont une place importante dans leurs ateliers notamment celui de la main ou du cône qu’elle a créés.
À la question des différences entre les générations de parents, Florence Meyer trouve que notre société actuelle donne une responsabilisation très forte aux parents notamment sur l’avenir des enfants et sur ce qu’ils doivent faire au quotidien pour eux. « Tout est étudié. Le langage, le comportement… Le parent est démuni parce qu’il ne peut pas avoir la main… et par conséquent n’a pas confiance en lui. »
L’association Quokka ne souhaite pas tenir un discours de promesses du type : « Ne vous inquiétez pas, vous êtes perdus, mais moi, je vais vous redonner la clé. Non, car les enfants et les parents parfaits qui vous guident, ça n’existe pas. C’est justement au contraire vous aider à prendre conscience que les familles sont toutes différentes et qu’il faut accepter ces différences. »
Florence Meyer est convaincue qu’il n’y a pas qu’une seule manière pour un enfant de grandir. Il y en a de multiples. C’est pourquoi, les membres de l’association identifient les symptômes d’hyper-parentalité quand ils y sont confrontés.
« Le danger de l’hyper-parentalité, c’est que l’enfant finit par croire que le parent le pense incapable… c’est voler à votre enfant sa propre anticipation, sa propre projection. Le parent a tendance à anticiper, ce que l’adolescent ne peut pas faire, ce n’est pas dans ses capacités. », explique la fondatrice, face à ce phénomène dans ses rencontres avec les parents.
Lors des ateliers parents-adolescents, on favorise le dialogue dans les deux sens, la parole de chaque partie a la même valeur : « On apprend au parent, quand il est dans l’hyper-parentalité, à pouvoir dire : “Écoute, je te dis ça parce que j’ai envie de te protéger, par amour, ceci est aussi lié à mon passé et ce que je ressens de la société. Mais c’est toi, qui vit la situation… Qu’est-ce que tu as à dire à ce sujet ? Comment toi, tu vis cette situation, penses-tu que mes questions soient pertinentes et comment y réponds-tu ?”, Ainsi parents et enfants ont leur place dans le respect de ce qu’ils sont. »
Quokka vient également de créer des groupes sur WhatsApp avec des thèmes comme la scolarité ou le harcèlement. Les parents, en adhérant à l’association, ont alors la possibilité de rejoindre ces groupes de discussion pour échanger avec d’autres parents vivant la même situation et ainsi ne pas se sentir seuls.
« Les parents d’adolescents peuvent vraiment trouver un endroit chez Quokka pour se ressourcer et trouver des ressources. » Elle constate tout de même que ce sont souvent des mères à bout qui contactent l’association, et plus rarement des pères.
« Les médias sont toujours plein d’injonctions pour qu’elles soient des mères parfaites, des épouses parfaites, des cuisinières et femmes de ménage dévouées… Et qu’elles soient au maximum de leur performance au travail tout en ayant dormi trois heures par nuit depuis des mois », déplore une mère de deux filles dans un des questionnaires reçus.
D’ailleurs, un autre mot à la mode dans les forums de parentalité est le lâcher prise.
Bruno Humbeek a sorti un livre pour donner des clés sur ce concept qui est loin d’être une nouveauté et existait déjà à l’époque de Confucius, dans la philosophie hindoue et également chez les stoïciens. Il reproche d’ailleurs aussi aux nombreux ouvrages d’éducation positive de le servir à toutes les sauces comme la solution, il critique le lâcher prise « à la louche », auquel il préfère celui utilisé au « compte-goutte ».
L’auteur prend l’image des « fusibles » pour symboliser les enfants qui craquent sous une trop forte pression. Il propose ainsi de mettre en place ce qu’il appelle un « manomètre éducatif » pour relâcher la pression, laisser respirer nos enfants et ne pas exploser en plein vol.
L’expert conseille de lister les domaines de pression éducative comme les résultats scolaires, le rangement de la chambre, le temps des écrans, l’alimentation puis de leur attribuer une note d’intensité (c’est-à-dire votre niveau d’exigence sur le sujet) et ensuite de vous fixer un objectif pour réduire ces notes. L’objectif est donc de ne pas garder la même intensité dans tous les domaines éducatifs, car cela semble impossible à tenir sans accabler l’enfant et exténuer le parent.
Pour aller plus loin, Bruno Humbeek propose un autre outil similaire, le « tensiomètre éducatif », pour lâcher prise progressivement en influant sur « notre seuil de tolérance » et ainsi « maintenir une énergie éducative positive ». Sur le même principe et sous forme de tableau, le ou les parent(s) liste(nt) d’abord les points de tension, puis la règle familiale à ce sujet ou le niveau d’exigence, troisièmement, le point de vue de l’enfant rejetant cette idée et enfin la solution de compromis envisagée. Ainsi, on parvient à identifier les points de tension et à agir en les diminuant ou en comprenant les forces de résistance.
Dans son livre, il prend notamment l’exemple des notes scolaires qui angoissent souvent les enfants, car elles donnent le droit à « un laissez-passer » dans la classe suivante et collent une étiquette de bon ou mauvais élève. Il recommande de rassurer l’enfant de notre amour inconditionnel même en cas d’échec. Bruno Humbeek utilise d’ailleurs l’image des « arbres » pour parler des enfants, qui progressent et grandissent à leur rythme. Il serait plus souhaitable d’endosser le rôle de « tuteurs » pour les soutenir et non de jouer les « bûcherons » en les coupant dans leur élan.
Il encourage aussi les parents à exprimer leurs émotions pour que l’enfant les comprenne mieux, et recommande de garder un équilibre d’épanouissement pour ne pas devenir ce qu’il appelle « des fantômes ». Il écrit : « Dans une famille, L’harmonie n’est possible que si chacun se montre soucieux de tous sans que personne ne se montre oublieux de lui-même ». Il distingue en effet le temps familial du temps libre, car il ne s’agit pas d’un véritable temps de repos.
Une maman témoigne : « Je m’autorise quelques sorties de temps en temps le soir : un dîner avec des copines, une sortie théâtre. Au départ, je culpabilisais un peu, puis je me suis rendu compte que je revenais plus détendue à la maison après avoir pris un peu de temps pour moi. »
Toutefois, les parents qui ont participé à cet article doivent souvent faire face à la réalité.
Un papa répond : « Oui, nous avons réussi à trouver un équilibre entre vie pro et perso afin d’être épanoui, mais ce n’est pas forcément simple en fonction du travail et des revenus de chacun. »
Une mère fatiguée partage son vécu : « Idéalement, j’aimerais avoir un peu de temps personnel, mais là encore, on est rattrapés par les injonctions à devoir tout concilier : il faudrait en même temps être un parent impliqué, une salariée investie, et aussi faire du sport pour prendre soin de soi, gérer sa maison qui demande nécessairement plus d’entretien, être un couple qui partage plein de choses, continuer à vivre soit disant comme avant, bref, c’est mission impossible et il faut faire des choix et accepter de lâcher prise sur certains sujets ».
Un autre parent affirme clairement ne pas parvenir à lâcher prise : « Avec une aînée de deux ans et un bébé… Les journées sont intenses, même quand je travaille et je ne peux rien relâcher, jamais, car au moindre pépin dans la journée, si je ne suis pas parfaitement organisée dans tous les aspects de la gestion de la maison ou de la famille, les choses deviennent ingérables. Alors j’ai plein de listes mentales, et je passe chaque moment sans enfants pour m’occuper des repas, de la maison, du linge pour m’assurer que le temps avec eux soit des instants de qualité. »
Nos sociétés progressent et les parents s’efforcent chaque jour de faire du mieux qu’ils peuvent pour accompagner leurs enfants vers l’âge adulte. Le vieil adage, « le mieux, est l’ennemi du bien » surgit soudain dans notre esprit. Nul n’est à l’abri de se retrouver perdu sur cette route surinformée de la parentalité.
Si c’est le cas, ne restez pas isolé, car il existe des associations bienveillantes et des groupes d’entraide parentale à votre écoute.
Quokka prépare d’ailleurs un salon à but non-lucratif s’adressant exclusivement aux parents en novembre 2025. Des ateliers et des conférences sont organisés régulièrement, leur agenda est disponible sur leur site.
Vous n’êtes pas seuls.
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