Vivre avec un TOC 
par Jeanne Ulhaq
11 juillet 2023

Lavages de mains intempestifs, vérification des appareils électriques à n’en plus finir ou pensées  parasites sur des thèmes récurrents, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) touchent 2 à 3 %  des français. Caractérisé par des obsessions accompagnées de rituels pour mettre fin à l’anxiété  qu’elles procurent, celui qu’on nommait autrefois « la folie du doute » serait la quatrième pathologie  psychiatrique la plus fréquente après les troubles phobiques, les addictions aux toxiques et les  troubles dépressifs.

Pourtant méconnu et peu représenté dans les médias, le phénomène affecte  significativement la qualité de vie de ses sujets. Immersion dans le quotidien des patients souffrant  de ce trouble psychologique et récit d’espoir vers la guérison. 

Maladies invisibles

Comme chaque matin, Marie* arrive en retard au travail. Son patron le lui reproche, lui qui l’a  promue pour son travail sans égal il y a quelques mois à peine. Si elle se confond en excuses jusqu’à  se perdre dans ses mensonges pour justifier ce retard systématique, c’est que Marie cache bien son  jeu. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle est restée bloquée sur le palier de sa porte durant des heures,  sa main tremblante sur la clé, en sueurs. Le feu est-il bien éteint ? La porte est-elle bien fermée ?  Son chat est-il vraiment en sécurité ?

Autant de questions qui l’empêchent de quitter son domicile, la  faisant renoncer à l’idée d’arriver à l’heure au travail, quitte à endurer les douloureuses remarques  de son boss. « Au moment de quitter mon appartement, je dois vérifier tous les éléments qui  peuvent comporter un potentiel danger pour mon logement ou pour mon chat ; une fenêtre ouverte,  un four allumé, une porte d’entrée mal fermée. Chaque matin, je me lève plus tôt que nécessaire et  consacre du temps à mon rituel. J’ai un parcours de vérification : d’abord la fenêtre, puis la porte du  balcon, la douche dans la salle de bain, le robinet, le frigo, la porte qui donne sur la buanderie, les  plaques, le four et le robinet de la cuisine. Avec le temps, j’arrive à en parler à mes proches, mais cela  a longtemps été un tabou. » 

William* vient de fêter ses 20 ans. Inscrit au Lycée Hôtelier de son quartier, il abandonne rapidement  les études supérieures et est actuellement déscolarisé. Sa mère ne le comprend pas ; elle se tue à la  tâche pour le forcer à trouver un emploi, une formation, « quelque chose ». Elle n’a de cesse de lui  répéter que, s’il ne se décide pas à sortir de sa fainéantise, il finira à la rue. Ce dont elle ne se doute  pas, c’est que William est paralysé par la peur.

Dans sa tête se joue un duel constant : celui de savoir  s’il est homosexuel. L’idée paraît dérisoire. Pourquoi cela serait-il si grave ? William est loin d’être homophobe. Et pourtant. « La première fois, j’avais 17 ans. On était au réveillon, ma famille avait une  conversation on ne peut plus banale sur le sujet de l’homosexualité. J’ai eu une simple pensée sur le  fait que je pouvais moi-même l’être, et l’angoisse m’a envahi. J’ai commencé à avoir des pensées  intrusives constantes, des sensations dans le corps. Aujourd’hui, je n’ose plus sortir car je ne sais à  quel moment l’angoisse va sévir. Je suis en rumination permanente sur le sujet, si bien que je n’arrive  plus à écouter les autres autour de moi. C’est pour ça que j’ai abandonné les études. Mais je n’en  parle pas, je ne pense pas que les gens comprendraient. » 

Eloise* est une jeune fille sociable, souriante et appréciée de tous. Pleine d’énergie, elle travaille  dans le domaine humanitaire et voyage régulièrement à l’autre bout du monde, postant sur son  feed Instagram des photos aux paysages somptueux, témoignant de l’élan de vie dont elle fait preuve  au quotidien. Mais tous les soirs, au moment de se coucher, Eloise affronte la nuit en sachant d’ores  et déjà qu’elle sera longue. Cet enfant qu’elle a croisé plus tôt ce matin, comment l’a-t-elle regardé ? 

Si un jour elle était seule avec un enfant, à faire du babysitting par exemple, que ferait-elle  réellement ? Un monstre sommeille-t-il en elle ? « J’ai la peur terrible de pouvoir vouloir abuser  sexuellement d’un enfant. Ma peur se manifeste comme un démon vivant dans mon cerveau. À  chaque fois que je croise un enfant, que le sujet de la pédophilie est évoqué ou que je suis juste seule  avec mes pensées, mon sang se glace. J’ai peur de ce qui pour moi est la représentation ultime de la  volonté de nuire, la maladie et l’humiliation sociale. Alors je passe mes journées à me poser un  milliard de questions, pour vérifier que je n’ai rien fait de mal, que je n’ai pas envie de faire du mal, et  que je n’en ferai pas. Évidemment, je n’en parle pas. Cela me tuerait que l’on m’accuse de pédophilie,  je m’inflige déjà cette peine toute seule au quotidien. » 

Comprendre le TOC

Ce que Marie, William et Eloise ont en commun, c’est le diagnostic qui leur a été posé par un  psychologue : tous souffrent de Troubles Obsessionnels Compulsifs.

Emmanuelle Hummler,  psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée en Thérapies Comportementales et  Cognitives (TCC) à Strasbourg, définit l’obsession ainsi : « C’est une pensée consciente qui exprime  une préoccupation, une crainte, un danger dont il faut se protéger. Elle vient de manière répétée,  s’impose au sujet et génère beaucoup d’anxiété et d’angoisse. L’obsession se distingue donc de la  pensée ‘normale’ par son caractère récurrent, persistant, difficilement contrôlable et par la détresse  qu’elle provoque. Pour la gérer, la personne met en place des actes qui visent à neutraliser le danger.  Le doute pathologique les pousse à répéter les actes qui deviennent alors des compulsions  irrépressibles. » 

Pour Marie, les compulsions passent ainsi par des rituels de vérification des appareils électriques à  n’en plus finir. Pour William et Eloise, les vérifications sont mentales. Lui vérifie de ne pas se sentir  sexuellement excité en présence d’un autre homme, elle fait de même avec chaque enfant qu’elle  croise au quotidien. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la peur est à même d’engendrer des sensations physiques dans le corps, persuadant ses victimes qu’il y a effectivement un danger à  prévenir. Bien que la plupart d’entre elles soient très conscientes de l’irrationalité de leur trouble, ces derniers se révèlent pourtant réellement handicapants au quotidien.

La psychologue poursuit : « Les  symptômes obsessionnels-compulsifs entraînent une perte de temps considérable : au moins une  heure par jour. Le retentissement est particulièrement handicapant au travail ou pendant les études  car le trouble peut engendrer des retards répétés, un ralentissement des opérations mentales et  intellectuelles. D’ailleurs, certains sujets choisissent un métier compatible avec leurs symptômes  quitte à faire une croix sur certaines envies professionnelles. » 

Et si… ?

Si Marie souffre d’une obsession généralement connue par le grand public, celles de William et  Eloise sont plus difficiles à avouer : ce sont des obsessions idéatives. Elles renvoient à une peur symbolique se manifestant par des ruminations mentales sur des questionnements d’origine métaphysiques, abstraits, religieux, moraux ou encore sexuels, tels que les TOC d’homosexualité ou  de pédophilie.

Elles trouvent racine dans la présence de pensées intrusives au caractère dérangeant,  répétitif et incontrôlable. Si ces dernières sont communes à chacun·e d’entre nous, elles peuvent rapidement devenir paralysantes pour les personnes au terrain psychologique anxieux, allant parfois  jusqu’à détruire leur quotidien.

En France, l’humoriste Jérémy Ferrari est l’un des rares à s’être confié sur le sujet au micro de  Konbini : « Je souffre d’une obsession bien précise, mais disons que j’obsède sur le fait d’avoir le SIDA.  Il n’y a aucune raison, mais je vais faire un test. (…) Comme il y a un délai d’attente des résultats, je  m’imagine entre temps l’annoncer à chaque personne que je vois. Je commence à réfléchir aux  causes, et m’imagine choisir à qui je vais mentir et à qui je vais dire la vérité. Je vais voir ma mère.  C’est donc la dernière fois que je la vois. (…) À la fin du repas, j’ai une image de moi qui fait 18kg, dans un lit, en train de mourir, avec ma mère qui me tient la main. »

Souffrant d’alcoolisme, d’un  Trouble de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH) et d’une personnalité obsessionnelle compulsive et  idéative, Jérémy Ferrari n’est diagnostiqué pour l’ensemble de ces troubles que lorsqu’il entre en  cure de désintoxication pour son addiction à l’alcool. Des liens de comorbidité que l’on semble  retrouver chez la plupart des patients, dont près de la moitié souffre d’autres maladies psychiatriques tels que les troubles de l’humeur, les addictions, les troubles de conduite alimentaire,  et les troubles anxieux généralisés. 

Parler pour guérir 

Si les TOC entraînent bien souvent un sentiment de culpabilité chez ses victimes, les poussant à  dissimuler leurs symptômes, il existe pourtant des solutions qui ont démontré leur efficacité à guérir  ces troubles de façon pérenne : les thérapies comportementales et cognitives (TCC) et les  médicaments inhibiteurs de la recapture de sérotonine (antidépresseurs).

L’expérience de Théo*,  suivi depuis deux ans par un psychiatre spécialisé en TCC, en est la preuve. « Personnellement, je m’en suis sorti sans les médicaments. Je souffrais de pensées intrusives liées à la peur de faire du mal  à autrui ; tuer ma famille par exemple. Aujourd’hui, j’arrive à en rire tellement l’idée me paraît  absurde. Quand j’y pense, ma famille, à qui je m’étais confié à l’époque, a vraiment dû avoir peur  (rires). C’est mon psychiatre qui m’a sauvé. La première chose qu’il m’a dite, quand je l’ai rencontré,  c’est que j’étais parfaitement normal. Que si j’avais réellement envie de nuire, je ne serais pas là à me  poser toutes ces questions. Cela m’a fait beaucoup de bien.

Ensuite, nous avons travaillé  régulièrement, ensemble, en m’exposant graduellement à mes peurs. L’exercice n’a jamais été facile,  c’est sûr. J’ai dû me forcer au début : je n’avais pas envie de parler, la thérapie coûte cher. Mais personnellement, j’ai trouvé un médecin conventionné, ce qui m’a permis de poursuivre le suivi aussi  longtemps que nécessaire. Il m’a fallu du temps pour obtenir un rendez-vous, certes, mais cela valait  le coup. »  

Depuis 2022, les patients peuvent se voir offrir sept séances de psychothérapie par an, sur  ordonnance. Si l’initiative ne fait pas l’unanimité auprès de la profession, la mise en place du  dispositif illustre néanmoins la prise de conscience générale face à l’importance de la santé mentale  suite à l’épidémie de Covid.

Par ailleurs, certaines initiatives gratuites telles que des tchats et des  lignes d’écoute existent pour apporter soutien et solutions à celles et ceux qui traversent des  difficultés d’ordre psychologique. Divers centres et cliniques spécialisées dans les TOC et les formes  sévères de l’anxiété sont également présentes en France, en parallèle des associations de patients. Si  demander de l’aide requiert beaucoup de courage, une chose reste sûre : plus tabou sera le sujet de  la santé mentale, plus long encore sera le combat vers la guérison.  

*Les prénoms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat des participant·e·s. 


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