Devenir mère est un véritable tsunami entraînant de nombreux changements et son lot de difficultés physiques et émotionnelles. Trouver un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle n’est pas toujours simple après l’arrivée d’un bébé.
« 1 femme sur 2, estime que son entreprise ou son manager n’a pas été suffisamment à l’écoute ou compréhensif à son retour ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et soulignent le manque d’accompagnement dans les entreprises : « 66 % des salariées estiment que si leur entreprise les accompagnait davantage cela aurait un impact important sur leur santé mentale au travail », (2018, GreatPlaceToWork).
L’appel à la mise en place d’une politique de parentalité bienveillante dans le monde du travail se fait de plus en plus entendre pour transformer la culture d’entreprise.
Cécilia Creuzet, co-fondatrice de May, l’application dédiée aux parents, a publié récemment un livret blanc sur le retour de congé maternité, invitant les RH et managers à se remettre en question.
« Un retour de congé maternité ça se prépare », nous assure Amandine Gicquel, fondatrice du Coaching au féminin, l’une des pionnières en France du coaching des mères au travail.
Ces deux porte-paroles engagés dressent un état des lieux et encouragent une transition plus sereine et adaptée aux nouvelles mères.
Matrescence, « mommy brain » et post-partum
« On ne revient pas de maternité ni vue ni connue. Les entreprises doivent comprendre que le retour au travail n’est pas un simple retour à la normale. La femme qui est partie en congé maternité n’est pas la même que celle qui revient. » confie Amandine Gicquel.
Une anthropologue américaine Louise Raphael a d’ailleurs mélangé les termes « adolescence » et « naissance » pour créer le concept de « Matrescence » : l’éclosion d’une mère, un processus comme à l’adolescence passant par des changements physiques, émotionnels, hormonaux et même neurobiologiques.
On vit un véritable « big bang émotionnel identitaire. Quand on devient maman, on devient une autre personne, il y a un côté un peu schizophrénique », partage la coach qui en a également fait l’expérience.
Des études ont d’ailleurs montré que la grossesse et la maternité modifiaient des zones du cerveau de la mère et ce jusqu’à deux ans après l’accouchement. Le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott parlait même de « Mommy brain ». Le lobe pariétal et le temporal s’étendent par rapport aux autres parties du cerveau et permettent à la mère de ressentir plus d’empathie et de décoder les signaux de son bébé. « Le cerveau se concentre sur l’essentiel, donc, la santé de son bébé au détriment du reste », précise Amandine.
D’après l’Enquête Nationale Périnatale de 2021, 16,7% des mères traversent une phase de dépression post-partum. Anna-Roy, sage-femme et chroniqueuse, faisant aussi partie de la direction médicale de May, va plus loin encore avec son livre « Le Post-partum dure 3 ans ».
Cécilia Creuzet nous fait part des retours de ses utilisatrices : « Chez May, notre plus gros sujet c’est la dépression post-partum, c’est une des difficultés émotionnelles qu’on vient nous confier et le pic des dépressions post-partum, c’est au retour du congé maternité. »
May compte à ce jour plus de 300 000 inscrits et propose aux parents du contenu sur tous les sujets de grossesse, maternité, parentalité mais donne surtout accès à une messagerie médicale 7 jours sur 7, de 8h à 22h avec des professionnels de santé : des sages-femmes, des infirmières, des pédiatres. Avec au moins 12 000 questions reçues en mars dernier, cette solution tend à soutenir les parents, désengorger les urgences et pallier le déclin de proximité traditionnelle avec le médecin traitant.
« On a un bon service de prise de température sur les différents sujets parentaux. On est très présent au côté des femmes pendant leur retour de congé maternité car c’est un moment où elles nous sur-sollicitent », ajoute Cécilia.
Via le chat de l’application, les jeunes mères se livrent sur leur fatigue physique durant cette période car rares sont les enfants qui font déjà leur nuit. Elles remontent des difficultés logistiques tel que le manque de confiance dans leur mode de garde. « Elles nous confient beaucoup leur sentiment de surnager », explique Cécilia. « Certaines disent être devenue une autre personne et beaucoup se sentent un peu jugées, avec des stéréotypes de genre ».
Cécilia Creuzet, également maman, pointe du doigt la brutalité du changement et le manque de reconnaissance de cette nouvelle identité : « Je pense que le degré de progressivité et la flexibilité jouent beaucoup dans la difficulté ressentie. Deuxièmement, on a besoin de se sentir reconnue dans cette nouvelle personne : on est parent avec des contraintes et aussi des forces qui sont souvent sous-valorisées. »
On prépare les femmes à l’accouchement, au post-partum mais on ne les prépare pas à revenir travailler
Amandine Gicquel – Le coaching au féminin
Amandine Gicquel, ancienne avocate, mère de deux enfants témoigne de sa mauvaise expérience du retour de congé maternité :« j’avais quelqu’un en face de moi qui n’était pas du tout réceptif, et pour qui le retour de congé maternité s’apparentait à un retour de vacances ».
Voyant qu’en France contrairement aux pays anglo-saxons, il n’existait pas d’offre de coaching d’accompagnement des jeunes mères au travail, elle raccroche la robe pour en faire son cœur de métier et son combat.
Elle a élaboré la méthode de coaching « mama works » pour aider les mamans catapultées en entreprise sans soutien « à prendre le recul nécessaire » sur leur vie de mère sur le plan personnel et professionnel « pour pouvoir retrouver leur place dans leur monde de manière générale ».
Les profils des femmes qui viennent frapper à sa porte sont des mères un peu perdues qui n’ont pas eu le temps de se poser toutes ces questions identitaires. Soit, elles cherchent à s’affirmer au travail, à évoluer ou reprendre confiance en elles ou alors elles veulent changer totalement d’horizon car leur entreprise ne leur correspond plus ou n’est plus compatible avec leur vie de parent.
Amandine propose un travail d’introspection afin de prendre conscience de la nouvelle femme qu’elles sont devenues, puis elle se focalise sur le fait de devenir une mère qui travaille et enfin définit un objectif sur mesure sur lequel travailler.
Ses mères salariées partagent des difficultés à gérer leur stress et leurs émotions, à s’organiser et à trouver le bon rythme. Le plus souvent, elles reprochent « le manque d’écoute et de soutien en entreprise alors qu’elles sont un peu bouleversées et qu’on leur demande d’être aussi efficace qu’avant. »
Les droits des femmes au retour du congé maternité
« On prépare les femmes à l’accouchement, au post-partum mais on ne les prépare pas à revenir travailler, ne serait-ce que pour les informer de leurs droits et identifier leurs besoins. C’est ce qu’elles ont besoin de savoir pour revenir travailler le plus facilement possible », insiste Amandine Gicquel.
En effet, « 81% des femmes sont retournées au travail sans bénéficier de leurs droits ».
Une visite médicale au retour du congé maternité est obligatoire et permet de vérifier que la collaboratrice est en état physique et émotionnel de reprendre son poste. La loi impose normalement à l’entreprise d’organiser un entretien de reprise avec son employée pour assurer la transition et le retour au travail.
L’américaine Allyson Downey, fondatrice de WeeSpring, une plateforme d’avis de parents sur les produits bébé, a publié un livre intitulé « Here’s the plan » dans lequel elle se base sur sa propre expérience et sur 50 témoignages de mères afin d’aider à mettre en place un plan d’action avant de partir en congé maternité pour ne pas se retrouver dans une nébuleuse sociale, légale et logistique comme le prouvent les statistiques suivantes :
« Plus d’une femme sur 3 a trouvé son poste modifié à son retour et seulement 19% d’entre elles avaient connaissance de ces changements au préalable. »
Sur 37 000 salariées questionnées lors d’une étude de 2019 du Conseil supérieur de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’institut BVA : « 84% des femmes estiment que la maternité a un impact négatif sur leur carrière ».
Il n’est pas toujours facile pour la salariée de s’y retrouver en termes de droits entre le code du travail, la convention collective ou autres spécificités propre à chaque entreprise. L’idéal serait qu’on l’informe dès son annonce de grossesse.
L’allaitement au travail
Allaiter au travail peut vite devenir un véritable casse-tête voire un sujet tabou alors même qu’il s’agit d’un droit. Selon le Code du travail, « Pendant une année à compter du jour de la naissance, la salariée allaitant son enfant dispose à cet effet d’une heure par jour durant les heures de travail. »
Ces temps de pause ne sont cependant pas rémunérés à moins que l’entreprise propose d’autres dispositions conventionnelles. La salariée a la possibilité de s’absenter une heure par jour pour allaiter : 30 minutes le matin et l’après-midi.
Une étude britannique de Slater and Gordon réalisée auprès de 2000 salariées allaitantes, rapportait qu’une femme sur 3, tire son lait au travail dans les toilettes, poussant 30% d’entre elles à abandonner son projet d’allaitement plus tôt que prévu.
En France, une entreprise de moins de 100 salariés n’a pas l’obligation de prévoir une pièce dans leurs locaux.
Heureusement des start-ups s’emparent du sujet : Pachamama solutions a par exemple créé un fauteuil d’allaitement pour les entreprises afin que les femmes puissent tirer leur lait en toute sérénité.
May accompagne également les mères allaitantes au travail : « on les aide à expliciter leur projet d’allaitement : sevrage partiel ou tire-allaitement. On les conseille sur le cadre légal et sur toute la logistique associée au fait de tirer son lait au travail, ce qui n’est pas toujours simple. On fait aussi beaucoup de soutien émotionnel », raconte Cécilia Creuzet.
Une évolution de la culture d’entreprise
En décembre 2021, 4 jeunes mères actives : Judith Aquien, Selma El Mouissi, Clémence Pagnon et Isma Lassouani s’engagent à changer les mœurs en entreprise en lançant le Parental Challenge : « pour une parentalité accompagnée et sans tabous au travail ».
Sur le modèle du Parental Act qui a permis de rallonger le congé second parent, elles ont mis à disposition des entreprises une boîte à outils, un guide téléchargeable pour les RH afin de façonner leur politique parentale. 2/3 des actions suggérées ne coûtent rien.
Des bonnes pratiques d’entreprises sont présentées comme par exemple la possibilité de télétravail, horaires décalés en dehors des heures de pointe, diffusion de guides de la parentalité auprès des équipes, suppression des conditions d’ancienneté liées à la parentalité, proscription des réunions avant 9 h et après 18h…
Le Parental Challenge c’est aussi plus de 34 000 salariés impactés grâce à une charte de 12 mesures à signer afin que cela devienne la norme réglementaire en France : « Pour relever le Parental Challenge, je m’engage sur l’honneur, en tant que DRH/CEO de mon entreprise à mettre en place les mesures suivantes ».
May, signataire de la charte, met en avant dans son livret blanc l’importance d’inscrire l’équipe et la salariée dans une démarche de re-onboarding. De plus en plus sollicitée par des entreprises souhaitant offrir l’application à ses collaboratrices, la start-up a décidé de proposer aux entreprises un accompagnement au retour de congé maternité avec par exemple un kit d’onboarding, un cycle de communication dès l’annonce de la grossesse, des supports d’entretien RH mais aussi des formations des managers.
Accompagner les jeunes mères au retour au travail c’est investir dans le capital humain de son entreprise
Il s’agira de formations avec notamment des jeux de rôle favorisant la compréhension des contraintes des uns et des autres et permettant de valoriser les nouvelles compétences de la nouvelle maman en entreprise. La co-fondatrice ajoute : « Dès qu’on arrive à susciter l’empathie chez les uns, on arrive à déconstruire les idées reçues ».
« 1 femme sur 3 a été victime de discrimination au retour d’un congé longue durée », (2020, Défenseur des droits).
Le manager joue un rôle déterminant dans la réussite du retour en entreprise et du maintien de la relation de confiance avec ses employées. Or selon le Parental Challenge, « près d’un tiers des femmes déclarent avoir eu le sentiment que l’annonce de leur grossesse a dérangé leur manager. » Former à gérer ces situations permettrait de réduire le désengagement, les démissions voire même les burnouts.
Amandine Gicquel est convaincue « qu’il y a quand même une prise de conscience de la nécessité d’accompagner le sujet de la parentalité. Avec le Covid, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus occulter le fait que les salariés sont des parents et que si on ne prend pas soin d’eux, on risque de perdre beaucoup en échange. Et je le vois notamment quand je fais de la prospection en entreprise. J’ai plus de retours qu’avant. »
Investir dans la parentalité
Cécile Creuzot de chez May explique qu’il faut davantage de politique RH volontariste car « la culture d’entreprise ne change pas du jour au lendemain la conception du travail, ni la vision RH du sujet. »
Percevoir la parentalité comme un atout : devenir mère c’est aussi développer de nouvelles compétences qui s’avèrent bénéfiques et utiles au bon fonctionnement de l’entreprise : gestion du stress, leadership, capacité d’organisation et créativité découlant de la prise de recul avec l’entreprise.
D’après le Baromètre 2020 de l’Observatoire de la Parentalité – QVT : « 41% des parents estiment qu’être aidés à mieux équilibrer leur temps de vie a un impact très important sur l’image qu’ils ont de l’employeur ».
Une autre étude de 2017 d’Ernst & Young démontre que 80% des entreprises avec une politique de parentalité constatent « une amélioration du moral de leurs salarié-es et une hausse de 70% de leur productivité ».
Accompagner les jeunes mères au retour au travail c’est investir dans le capital humain de son entreprise : confiance, productivité et engagement sont à la clé d’une politique RH de re-onboarding.
Allongement du congé post-natal
Pour se remettre physiquement et émotionnellement d’un accouchement, il faut parfois entre 6 mois voire un an comme l’affirme le Dr Julie Wray, chercheuse à l’Université de Salford.
Une pétition circule d’ailleurs en ce moment pour rallonger le congé maternité actuel permettant aux jeunes mères de reprendre le travail lorsqu’elles seront plus sereines.
La co-fondatrice de May réfléchit à voix haute : « je me demande si je ne trouverais pas plus pertinent d’avoir un congé maternité tel qu’il est aujourd’hui mais par contre, un congé parental derrière beaucoup mieux pris en charge et extensible. »
Accompagnement, préparation et flexibilité sont les maîtres mots d’une meilleure inclusion des jeunes mères dans le monde du travail.
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