Bordée par l’océan Indien, l’Indonésie et ses milliers d’îles constituent un paradis pour de nombreux surfers. Avec Hawai, la France, le Brésil et l’Afrique du Sud, l’archipel fait partie des destinations surf les plus prisées de la planète. Bali et les Mentawais sont des spots incontournables. Pourtant, à Bali ou encore Lombok, si les plages sont prises d’assaut par les surfeurs, peu d’Indonésiennes osent se mesurer aux vagues. L’école XX Surf, située à Kuta dans le sud de Lombok, encourage les jeunes filles du village à s’essayer à la planche.
Si la Française Justine Dupont a récemment impressionné le monde entier, à Nazaré au Portugal, en surfant une des vagues les plus colossales du monde, 24 mètres s’il vous plaît, le surf est loin d’être une discipline accessible aux filles dans certaines régions du monde. En Indonésie, pourtant une des destinations surf les plus en vogue de la planète, il est encore trop rare de voir les jeunes filles du pays affronter les vagues du littoral. Un constat qui s’explique par le poids des traditions dans le premier pays musulman du monde, mais aussi par la dangerosité qu’on prête à la pratique du surf dans l’archipel. De plus en plus d’Indonésiennes n’hésitent pourtant pas à défier les conventions et à surfer en bikini, la peau découverte.
Le poids des traditions
Bali, Java, Sumbawa ou encore les îles Mentawais… ces noms ne sont pas inconnus des surfeurs. Avec ses quelque 16 000 îles et ses plages de sable blanc bordées par l’océan Indien et l’océan Pacifique, l’Indonésie est un petit paradis pour les adeptes de la vague. Mais surfer quand on est une fille d’un petit village indonésien n’est pas chose aisée. Salini Rengganis, 22 ans, surfeuse pro originaire de la petite ville de Pacitan, sur l’île de Java, a dû et doit encore faire face aux préjugés. “Les gens ici ont souvent une mauvaise image de moi. Pour eux, une fille ne devrait pas prendre part à des sports extrêmes. De plus, je porte souvent un bikini lorsque je surfe, ce qui encourage encore l’image péjorative qu’ils ont à mon égard”, déplore-t-elle. Une situation que souhaiterait, aussi, voir évoluer Alice.
Dans la petite ville de Kuta sur l’île de Lombok, l’Anglaise a cofondé avec son mari Edy, originaire du coin, l’école de surf XXSurf, à l’arrêt depuis la pandémie de Covid-19. “Les femmes et les filles en Indonésie ne sont pas encouragées à surfer et quand elles le font, sont souvent mal vues puisqu’elles sont supposées faire tourner la maison. Elles sont encouragées à remplir leurs rôles familiaux et la plupart d’entre elles deviennent mères très jeunes et doivent alors abandonner l’école », explique-t-elle. “Ce n’est évidemment pas toujours le cas, mais cette situation est très courante, surtout dans les villages.”
Avec ses 264 millions d’habitants, l’Indonésie est un pays très religieux. Si une grande majorité de la population se réclame de l’islam sunnite, la Constitution garantit l’égalité entre six religions : islam, protestantisme, catholicisme, bouddhisme, hindouisme et confucianisme… Mais quelle que soit la religion pratiquée, les filles sont encouragées très tôt à respecter les traditions et endosser des rôles d’épouse et de maîtresse de maison. L’Indonésie décroche tristement le 7e rang mondial du classement des pays au plus grand nombre de mariage d’enfants, selon une étude menée par l’UNICEF en 2017.
Même si la situation tend à s’améliorer depuis ces dix dernières années, le mariage des jeunes filles reste ancré, notamment en milieu rural. Comme le rappelle l’ONG Girls Not Brides, 16% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans en Indonésie. Ces traditions sont également intégrées par la plupart des jeunes filles. “Elles ne réalisent même pas qu’il existe d’autres options que de se marier jeune et de fonder une famille” assure Alice.
Le surf “un sport dangereux et mal vu”
En plus des traditions qui enserrent les femmes dans des rôles attendus, que peu d’entre elles osent défier, le surf jouit d’une réputation dangereuse dans le pays. “Les gens ici ne sont pas ouverts d’esprit quant à la pratique du surf. Les vagues sont considérées comme dangereuses. C’est pourquoi de nombreux Indonésiens ne cherchent pas à comprendre l’océan et préfèrent fuir les vagues” explique Salini Rengganis. Cette peur de l’océan s’explique aussi par le taux de noyade, élevé dans les pays du Sud-Est. Selon un rapport de l’OMS, le taux de mortalité par noyade est bien plus élevé dans la région Asie du Sud-Est (31%) que dans n’importe quelle autre région du monde, et ce quels que soient le sexe et le groupe d’âge des individus.
Les femmes et les filles sont également moins enclines que les hommes à apprendre à nager. Lors du tsunami de 2004 qui a sévèrement touché la province d’Aceh dans le Nord de l’Indonésie, 77% des décès enregistrés étaient des femmes. Une tendance que des chercheurs de l’Université d’Oxfam attribuent partiellement au fait que les hommes savaient mieux nager.
Les femmes et les filles en Indonésie ne sont pas encouragées à surfer et quand elles le font, sont souvent mal vues puisqu’elles sont supposées faire tourner la maison
Salini Rengganis
Autre argument en défaveur du surf pour la plupart des Indonésiennes : il s’agit d’un sport qu’on pratique en exposant sa peau au soleil. Pour Salini Rengganis, “la majorité des filles se détournent du surf, car elles craignent le soleil sur leur peau. Selon les standards de beauté indonésiens, il faut avoir la peau blanche”. Une pression qu’explique avoir déjà subi Vanya Safitri, surfeuse et réalisatrice indonésienne qui s’intéresse à la culture surf dans son pays : “Même si j’ai grandi dans une famille progressiste et que mes parents m’ont toujours laissée surfer, j’ai souvent le droit à des remarques de ma mère quant à la couleur de ma peau, brunie par le soleil. La plupart des enfants ici grandissent en suivant cette doctrine.”
Une nouvelle génération de surfeuses pro en Indonésie
Elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à défier les règles établies et à oser se mesurer aux hommes, dans des compétitions de surf locales, nationales et même internationales, à l’image de Kailani Johnson. 88e du classement international de la World Surf League, elle est devenue, en 2019, la première surfeuse Indonésienne à participer à une épreuve du Championship Tour. Parmi celles qui surfent en compétition à l’international, on peut également retenir sa soeur Puanani Johnson, Cinta Hansel, Taina Izquierdo, Dhea Novita Sari, Lim Yung, Lusinda Wau, Lorena Maruhawa ou encore Diah Rahayu, ambassadrice Rip Curl.
Au niveau local et national, de plus en plus de jeunes filles concourent au côté des garçons.
Encouragée par son père, qui ne surfe pas, Salini s’essaie à ce sport alors qu’elle n’a que 5 ans, après avoir vu des jeunes de son village surfer, et commence à enchaîner les compétitions locales puis nationales à 11 ans. Mais ce n’est pas la compétition qui semble intéresser la jeune femme. “Plus tard, j’aimerais vivre près de l’océan et ouvrir une petite école de surf pour les filles de mon village, leur apprendre à surfer”, confesse-t-elle. Salini est sponsorisée par une marque locale de vêtements de surf, Surf Girl Bali, qui lui permet de payer ses factures. La publicité sur les réseaux sociaux lui offre un revenu supplémentaire. “Il n’y a pas assez de compétitions locales et nationales spécialement conçues pour les filles pour pouvoir vraiment vivre du surf en Indonésie” déplore-t-elle.
Emanciper les filles par le surf
Comme Vanya et Salini, Sofie s’est prise de passion pour le surf. Celle que tout le monde surnomme Jungle Girl a grandi à Toraja sur les îles Sulawesi. Mais ce n’est qu’en 2012 après avoir emménagé à Bali que la jeune femme découvre le surf. “Je n’avais pas assez d’argent pour payer les cours de surf, j’ai dû tout apprendre par moi-même. J’ai mis beaucoup de temps avant de pouvoir si ce n’est que me lever sur ma planche, plaisante-t-elle. Mais je n’ai pas abandonné”. Sofie se targue, désormais, d’être une des premières instructrices de surf de l’île. Elle a, depuis, monté sa propre école de surf nommée Salty Sirens à Balangan dans le sud de Bali. “Salty Sirens a pour mission d’encourager les femmes à surfer. Il s’agit avant tout de femmes aidant d’autres femmes, surtout des Indonésiennes, à s’émanciper.” Sofie veut encourager les femmes de son pays à oser. Elle s’est d’ailleurs lancée un nouveau défi : naviguer tout autour de l’Indonésie, une fois que la crise du Covid-19 sera passée.
Plus tard, j’aimerais vivre près de l’océan et ouvrir une petite école de surf pour les filles de mon village, leur apprendre à surfer
Salini Rengganis
Avec l’argent collecté par les cours de surf donnés aux touristes du monde entier, l’école XXSurf propose des cours de surf gratuits aux filles des villages environnants. Alice et Edy proposent également des cours d’anglais aux jeunes du coin. Avant que l’épidémie de coronavirus ne vienne menacer leur activité, une partie des profits de l’école servaient à alimenter un fonds pour faire surfer les filles du village. Alice reconnaît cependant avoir souvent mis de son propre argent pour offrir des cours de surf gratuits aux filles.
En attendant que l’Indonésie rouvre ses portes aux touristes, elle souhaite trouver des financements extérieurs afin de soutenir l’initiative. Alice et Edy se sont fixé une mission : encourager les filles à apprendre à surfer et les aider à découvrir leur propre voie et à faire leurs propres choix. “Peu importe qu’elles continuent à surfer, ou choisissent de devenir comptable ou encore vétérinaire ou bien qu’elles suivent le chemin le plus traditionnel pourvu qu’il résulte d’un choix conscient et non juste de la voie qu’elles pensent normale” ajoute Alice. A terme, Alice souhaiterait accompagner des filles du village qui veulent continuer à surfer et pourquoi pas vivre de leur passion : “Notre rêve serait de les former et de leur proposer ensuite d’enseigner à leur tour le surf chez XXSurf afin qu’elles poursuivent d’elles-mêmes la mission que nous avons initiée”.
Une mission que Vanya a aussi fait sienne. La jeune femme qui a grandi en ville à Bandung et découvert le surf tardivement est rentrée bouleversée de son voyage aux Philippines. Dans la province de La Union, elle y observe et photographie des Philippines sur leur planche de surf et envie leur style et leur mode de vie. “Il y avait tellement de femmes, des locales, au line-up attendant les vagues. J’ai trouvé ça génial”, confie-t-elle.
Lors de son retour en Indonésie, elle décide d’organiser un événement à Batukaras, dans le sud-ouest de Java pour le Kartini Day, sorte de Journée de la Femme qui commémore la naissance de la Javanaise Raden Ajeng Kartini, une héroîne de la lutte pour l’émancipation des femmes dans le pays. Elle invite alors les femmes et filles du coin qui surfent ou apprennent à surfer et leur demande de surfer vêtues de la traditionnelle blouse Kebaya. Vanya est optimiste. “J’ai l’impression que la culture du surf féminin ne cesse de prendre de l’ampleur, surtout à Batakuras, où de plus en plus d’Indonésiennes osent se lancer à l’eau”.
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Cet article a été publié en 2021 dans le premier magazine papier de notre fonds de dotation Azickia.
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