Célibat féminin : en finir avec les clichés
par Alizée Le Diot
7 mai 2024

À l’heure du « réarmement démographique » mais aussi à celle où l’IVG est en passe d’être inscrite dans la Constitution française, la question du célibat reste d’actualité. Alors que 18 millions de Français – soit 40 % des adultes français – sont célibataires, il est possible de se demander d’où viennent encore les clichés sur eux, et notamment elles. Qui sont-elles et quelles sont leurs aspirations ?

Apparu dans le dictionnaire en 1760, le terme de « célibat » est défini comme le fait de ne pas être en couple. Il est ainsi présenté comme un manque, un état temporaire de la quête de l’amour qui n’a pas vocation à le rester. Léna, 35 ans, célibataire parisienne atteste : « Les gens partent du principe que je suis célibataire, mais que je dois forcément être en train de chercher quelqu’un, que c’est un état provisoire. Je le ressens beaucoup : des fois quand je dis que je suis célibataire, la première chose qu’on me répond c’est “Tu vas trouver t’inquiète pas”. Comme si mon célibat n’était pas quelque chose de souhaité ». Ces remarques sont bien sûr le fruit de nos représentations, notre histoire et notre culture.

Le célibat et la pop culture

Clichés alimentés par la pop culture, les hommes célibataires sont souvent perçus comme « papillonneurs, vieux garçons, simplets, timides et en détresse affective » tandis que les femmes sont souvent représentées comme « trentenaires, mal dans leur peau et incapables d’être seules, la sorcière ou encore la folle au chat » (France culture). Beaucoup de femmes ont regardé Sex and The City, série culte de Darren Star de la fin des années 90 aux années 2000 où quatre copines célibataires partagent leurs déboires amoureux et sexuels sur un ton féministe. De même, Le Journal de Bridget Jones de Sharon Maguire (2001), qui met en scène une trentenaire londonienne désespérée, a façonné l’imaginaire sur le célibat de nombreuses femmes. Les films Bridget Jones ont d’ailleurs été librement inspirés d’Orgueil et Préjugés de Jane Austen (1813).

Camille, quarante ans, en couple depuis longtemps, revoyait une des adaptations d’Orgueil et Préjugés en série avec beaucoup d’enthousiasme : « C’est une histoire d’amour intemporelle. Les opposés s’attirent mais ils ont fait Bridget Jones plus stupide. Elle est plus superficielle. C’est plus léger ». Camille, qui est également professeure d’anglais et qui a vécu plusieurs années en Irlande, pense que Jane Austen avait un regard critique sur la société anglo-saxonne de l’époque et sur la condition des femmes : leur seul but dans la vie était de se marier et c’est ce que l’auteure dépeint très bien dans son ouvrage. Cette histoire a eu un grand retentissement au Royaume-Uni, à l’image des Misérables en France. Même si elle peut paraître très « fleur bleue », elle constitue néanmoins une analyse des différentes catégories sociales de l’époque avec l’illustration des bourgeois, du clergé et des soldats. La renommée de cette histoire, de nombreuses fois reprises et revisitées en films ou séries, montre combien les histoires d’amour et ces schémas plaisent et influencent notre perception des relations amoureuses. Le célibat choisi dans les fictions reste rare tout comme leur revendication pour les célébrités qui les incarnent. Emma Watson fait exception en déclarant être en couple avec elle-même et en dénonçant la pression sociale d’être mariée avec des enfants à l’âge de trente ans.

Pour autant, ces fictions peuvent aussi être réconfortantes, Charlotte, 29 ans, qui a eu plusieurs périodes de célibat, explique que regarder les épisodes de « How I met Your Mother » (Carter Bays et Craig Thomas) a été bénéfique pour son moral durant certains moments de doutes sur cette fameuse quête de l’amour. Quant à l’expression « Fleur bleue », elle a d’ailleurs été reprise cette année par la série d’Enya Baroux où une trentenaire célibataire raconte ses différents plans d’un soir qui tournent toujours au désastre. Loin d’être fleur bleue justement, cette série aborde des sujets qui caractérisent notre société en parlant écologie, féminisme ou politique. Une série moderne et bénéfique quand on sait que selon une étude de l’université américaine UCLA, 44,6 % des jeunes considèrent que dans la pop-culture, dans les séries ou encore les films, les relations romantiques hétérosexuelles sont représentées à l’excès. Les jeunes générations aspirent à une représentation plus réaliste de l’amour, mais aussi du célibat. Au-delà des clichés, les célibataires sont en réalité dans des situations de vie très diverses et loin d’être aussi désagréables que ce que les représentations voudraient le laisser penser.

Une « grande libération »

Historiquement, le célibat n’a pas toujours été perçu comme un problème. Selon Julie Eyméoud, historienne, avant le XVIIème siècle, il y avait beaucoup de célibataires dans la noblesse. Par exemple, Marie de Gournay, femme de lettres et philosophie, travaillait seule « par esprit d’indépendance ». C’est au XVIIIème siècle et sous Napoléon que le célibat devient problématique. Le risque de dépopulation participe à valoriser la procréation et le mariage, explique Claire-Lise Gaillard, historienne. Avant d’ajouter qu’un certain savant « La Beaumelle » va jusqu’à calculer le manque à gagner à cause du célibat ecclésiastique. La figure péjorative du « vieux garçon » et de la « vieille fille » émerge dans la littérature et le théâtre durant le XIXème siècle. Selon l’Union communiste libertaire : « à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les anarchistes individualistes remettaient en cause, à la suite des socialistes utopiques, l’ensemble des institutions sociales, étatiques et religieuses qui encadraient les relations amoureuses : le mariage et la famille patriarcale, l’interdiction des comportements sexuels non procréateurs. Les militantes féministes y ajoutaient la nécessité de libérer la sexualité des femmes, l’encadrement des relations amoureuses étant un outil du patriarcat pour l’oppression des femmes ». Des revendications qui font encore écho aujourd’hui et qui sont toujours autant d’actualité.

La sociologue Marie Bergström explique que le célibat est parfois présenté comme « un nouveau mode de vie devenu à la mode : incarnation d’un nouvel individualisme des mœurs, il traduirait un désir de réalisation de soi et un certain rejet de la conjugalité comme cadre de vie ». Léna témoigne : « le célibat a été une grande libération. Je fais tout mon quotidien comme je l’entends, j’ai zéro compte à rendre à qui que ce soit, sur mes activités, mes horaires, ce que je mange, à quelle heure je vais me coucher, quand je sors, avec qui je sors… Je me perdais complètement dans mes relations précédentes, là je fais les choses pour moi ». De la même façon, la charge mentale des célibataires est diminuée : « En couple, la charge mentale était en permanence présente », explique-elle. « Par exemple : la question de qu’est-ce qu’on mange le soir était une angoisse. Est-ce que je risque de faire un choix qui va pas plaire à l’autre ? Est-ce que je risque d’être bête ? Je me pose trop de questions quand je suis en couple et ça me complexifie la vie. Je suis une personne qui a tendance à être très attentive aux autres, à vouloir répondre aux besoins des autres. À chaque fois que j’ai été dans des relations de couple, j’ai l’impression que je me suis complètement perdue à être tout le temps attentive à l’autre mais finalement, jamais à moi-même. Je suis aussi tombée sur des gens qui ont complètement profité de ça ».

Chez les jeunes, attachés à leur liberté, mais aussi plus sensibilisés à la notion de charge mentale, on voit émerger une nouvelle tendance : la « nomance » (no romance, sans relations amoureuses). Ce phénomène valorise les relations amicales non amoureuses et/ou sexuelles. L’amitié devient aussi importante à leurs yeux qu’une relation amoureuse. Le choix d’être célibataire serait ainsi, bien plus populaire que chez les autres générations et tout aussi épanouissant qu’une relation de couple. Fini donc la quête de l’amour parfait ! Le célibat c’est aussi être heureux.

Le célibat, une banalité…

Marie Bergström ajoute que le célibat est parfois considéré comme une « véritable “crise”  de la rencontre dans une société qui – pourtant de plus en plus “connectée” – aurait du mal à faire rencontre ». En effet, il suffit de regarder la multitude de sites de rencontres et du nombre de personnes utilisant ces sites pour réaliser que cela n’a, aujourd’hui, rien d’exceptionnel : selon Libération, « la fréquentation des sites de rencontre a augmenté l’an dernier en France, avec plus de 2 millions de visiteurs uniques par jour, selon des chiffres publiés ce jeudi 8 février par Médiamétrie. Et, sur les 2,3 millions de visiteurs uniques quotidiens enregistrés en 2023 par ces sites et applis de rencontre (Tinder, Grindr, Meetic, Happn, Fruitz…), il y avait 1,6 million d’hommes et 700 000 femmes ». Pour autant, la certitude de rencontrer « l’âme soeur » ou simplement une personne avec qui partager sa vie, n’a rien d’une évidence. Pour les nouvelles nouvelles générations, ces applications tueraient le romantisme et ils préféreraient ainsi les rencontres dans la vie réelle. Se focaliser sur son bien-être ou sa carrière est davantage une priorité pour eux, avant de construire une histoire d’amour.

Malgré tout, de nombreuses personnes rencontrent leur(s) partenaire(s) de vie sur les sites de rencontre. Un succès et une utilisation accentuée par le fait que les « parcours conjugaux sont devenus plus discontinus ». Le célibat est bien différent d’un âge à l’autre, mais aussi d’un genre ou d’une classe à l’autre, et notre définition initiale s’avère incomplète puisque n’explicitant pas la diversité des expériences de célibat. Les sociologues Marie Bergström et Géraldine Vivier affirment à ce sujet que : « Cette diffusion de la vie célibataire n’échappe pas aux intéressés : conscients d’être nombreux, les célibataires y voient une situation désormais courante voire banale ».

Néanmoins, le couple reste la norme et le célibat reste peu valorisé socialement. Léna témoigne : « J’évite complètement le sujet avec mes parents. Pour eux, c’est la norme d’être en couple même s’il ne me mettent pas de pression. Quant à dans certains cercles de connaissances, je sens que c’est encore un peu “bizarre”, cela suscite de l’incompréhension ». Assez logiquement, cette situation reste mieux vécue lorsque les célibataires sont entourés d’autres célibataires que lorsque le célibataire fait exception dans son entourage. Laure, 30 ans, raconte être allée à une soirée avec des amis : « ils étaient tous en couple, j’étais la seule célibataire et je ne me suis pas sentie très bien ! » Léna par contre, atteste apprécier être seule pour faire de la musique, des activités manuelles, regarder des séries… Elle explique que c’est son tempérament et que malgré le fait que la plupart de ses amis soient en couple, cela ne lui pose pas de problème dans l’organisation de son temps ou de ses activités.

Cela vient confirmer les écrits de Marie Bergström qui analyse que, pour peu de célibataires, cette situation impacte leur vie quotidienne, sociale, leurs vacances et loisirs. Pour la plupart des personnes abordées, cela ne « change rien ». Néanmoins, les célibataires interrogés ne répondent pas tous avoir choisi cette situation et cela est notamment différent selon la classe sociale : 43 % des personnes employées ou ouvrières affirment que c’est un choix, contre 33 % des personnes cadres ou appartenant aux professions intellectuelles supérieures. Selon les deux sociologues, « la moindre fréquence du célibat dans les classes supérieures semble coïncider avec une norme conjugale plus forte. Inversement, dans les classes populaires où la vie hors couple, la monoparentalité et le célibat définitif sont plus répandus, ces situations sont peut-être moins stigmatisées et excluantes ».

La lignée féministe du célibat

Au XIXème siècle déjà, bien qu’étant des exceptions, certaines femmes de lettres choisissaient le célibat comme acte militant. Au XXème siècle, Virginia Woolf, puis un peu plus tard Simone de Beauvoir, ont été actives dans la défense du célibat, de la solitude comme vecteur de liberté. Dans cette lignée, une certaine partie des féministes revendiquent le célibat comme garant de l’émancipation des femmes et de leur liberté. Léna explique se sentir féministe et que des écrits comme La chair est triste hélas d’Ovidie et le podcast Sologamie de Marie Albert l’ont aidée dans ce choix de vie : « c’est avant tout un choix pour moi mais cela s’inscrit dans le fait qu’il y ait des alternatives au couple et que le célibat peut être un choix à part entière qui se suffit à lui-même ».

La sologamie, parfois définie comme le fait de se marier avec soi-même est vue par Léna comme le célibat choisi et non provisoire. Ce concept, inventé au Canada au début des années 2000, de plus en plus populaire aux États-Unis et au Japon, commence à arriver en Europe. Camille voit ce mariage avec soi-même comme « une raison de faire la fête et d’avoir des cadeaux » tandis que les adeptes revendiquent au contraire celui-ci comme un moyen de lutter contre le patriarcat et la pression sociale autour de la mise en couple et du mariage.

Mais en plus de pousser le narcissisme à son paroxysme, la sologamie est aussi l’occasion de développer un business conséquent. Car oui, au-delà de la sologamie, le célibat a un coût comme le montre Usbek & Rica dans un passionnant article : dans leur étude pour le magazine américain The Atlantic, les journalistes Lisa Arnold et Christina Campbell ont calculé qu’au cours d’une vie, les femmes célibataires pouvaient débourser jusqu’à 1 million de dollars de plus qu’une femme mariée. Léna témoigne : « Je vois une différence sur le logement et les vacances puisque l’on ne partage pas le coût du Airbnb ou la chambre à deux, tout comme pour la location d’une voiture. Vivre seule est une sorte de luxe. Je vois beaucoup de personnes qui sont en couple et qui me disent qu’elles ne pourraient pas revenir célibataires, car elles auraient un problème pour financer leur train de vie actuel ». À ce coût peut s’ajouter celui d’un éventuel enfant. Sur ce point, Léna avoue que c’est « un sujet plus épineux ». À l’heure actuelle, elle n’a pas le désir d’enfants mais si cela venait, elle ferait probablement un enfant seule plutôt que de se mettre en couple. Léna pense que « si nous avions tous une indépendance financière – ce qui n’est déjà pas évident – mais également émotionnelle, le célibat serait une autre voie qui satisferait beaucoup de monde ».

[En savoir plus : Au-delà du couple et de la famille nucléaire, différentes formes de relations se développent comme les sexfriends, le polyamour ou laissent tout simplement plus de place à l’amitié… Victoire Tuaillon explore dans son livre Le Coeur sur la table les différentes façons de faire relation en appelant à une « révolution romantique »]

*Les prénoms ont été changés pour l’anonymat des personnes interrogées.


Cet article est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France.

Photo : Unsplash