LP4Y : pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes femmes de Tondo 
par Manon Philippe
22 mai 2022

A seulement 25 ans, Albane est coordinatrice pays (Philippines) pour l’organisation Life Project 4 Youth. Sensible à l’exclusion et à l’intégration professionnelle, elle s’est tournée vers LP4Y pour partir deux ans au service des jeunes les plus exclus.

A travers l’écran qui nous sépare, son enthousiasme est palpable, communicatif. Albane est bien décidée à tout me dire sur le projet de formation, et la micro-entreprise sur laquelle travaillent les jeunes femmes du programme de Tondo. Quartier pauvre situé au sud-ouest de Manille, Tondo est l’une des zones les plus densément peuplées au monde et compte quelques 65 000 habitants au kilomètre carré !

Cette incroyable densité soumet ses occupants à des habitats précaires et insalubres, un air saturé par la pollution, un manque d’accès à l’eau potable et à l’électricité. Ici, 100 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté et les familles cohabitent dans des logements d’une surface de moins de 10 m2.

La Fondation LP4Y y est présente depuis 2009, date de son implantation aux Philippines. Tondo a été l’un des premiers centres mis en place. Donner accès à l’éducation et briser le cercle vicieux de l’extrême exclusion est essentiel : à Tondo, les femmes sont les plus grandes victimes de la pauvreté. Le manque d’infrastructures, les grossesses précoces ou encore les violences domestiques les rendent particulièrement vulnérables.

« Sans qualification et sans accès à l’éducation elles se retrouvent dans l’impossibilité de trouver un emploi décent leur permettant de subvenir à leurs besoins. Le programme de Tondo s’adresse donc à ces jeunes femmes, âgées de 18 à 25 ans » confie Albane. 

Former grâce à la gestion d’une Micro-Entreprise

« Notre formation et pédagogie s’appuient entièrement sur le learning by doing. » Le but du programme est d’offrir aux jeunes femmes de Tondo une expérience professionnalisante qui leur permettra de développer des connaissances et compétences qui leur seront indispensables pour intégrer le marché du travail. 

Le programme repose sur la création et la gestion d’une micro-entreprise par les jeunes. Pendant six mois, elles contribuent collectivement au développement d’une initiative orientée vers les besoins de la communauté locale. « La Micro-entreprise actuelle, Care 4 Change a été pensée pour répondre à des besoins dans le domaine de la santé, de l’hygiène et de la nutrition. Les jeunes démarrent de zéro et partent dans la rue faire une étude de terrain, puis un sondage plus précis auprès de la communauté », détaille Albane.

En adéquation avec ces résultats, la micro-entreprise Care 4 Change est créée et repose sur trois piliers : Le support pour la famille avec la vente de couches pour enfants et de lait à bas prix ; l’organisation d’ateliers de savoir-faire manuels pour aider les femmes de la communauté à gérer leur foyer de manière plus saine et durable ; l’appui, l’accueil, le soutien des mères de famille, et l’orientation de ces dernières vers les structures appropriées en cas de problèmes.

« Les jeunes sont motivées et apprennent sur le terrain : elles trouvent de nouveaux partenariats, recherchent des fournisseurs, apprennent les techniques de vente pour vendre le lait et les couches, élaborent des supports de communication pour se faire davantage connaître et mobilisent la communauté » poursuit Albane.

Pour leur « Livelihood training”, les jeunes femmes de Tondo sont allées jusqu’à contacter une ancienne jeune du programme LP4Y, appelée Stars, couturière aguerrie qui leur a transmis son savoir-faire, qu’elles ont ensuite partagé avec le reste de la communauté. Elles apprennent aux habitantes à confectionner des couches réutilisables, à faire leurs propres produits ménagers. « Les jeunes femmes sont au cœur de l’activité, il est important que cette activité ait du sens pour elles ainsi que pour la communauté avec laquelle elles vivent.

C’est également valorisant car elles ont particulièrement souffert de l’exclusion et sont habituellement peu reconnues par la communauté. Aujourd’hui ce sont elles qui vont à la rencontre des habitants et viennent partager leur savoir. » 

Accompagner les jeunes dans leur intégration professionnelle avec bienveillance

Pas de cours spécifiques, c’est en faisant que l’on apprend. Les jeunes gèrent la micro-entreprise et sont accompagnés par des coachs, chargés de les guider dans leurs projets. Une fois par semaine, les coachs organisent un temps de réflexion (guidance) sur une thématique pouvant aider les jeunes. Mais c’est surtout à travers l’expérience professionnalisante de la micro-entreprise que ces derniers feront leurs armes. « Nous voulons que les jeunes baignent dans l’environnement le plus professionnel possible afin de les mettre en condition d’entreprise. »

Présentations, mails, CV, lettres de motivation, accent sur la ponctualité et l’attitude, il s’agit d’une vraie mise en situation du monde du travail. « Pour certaines, c’est aussi un premier pas vers la technologie, l’usage de l’ordinateur » poursuit Albane. 

Durant ces six mois, deux semaines de stage en entreprise sont prévues, LP4Y veille également grâce à ses partenariats à maintenir une proximité et un lien fort avec les entreprises : « Des visites d’entreprises, des présentations par des professionnels sont organisées, ce sont de nouvelles expériences qui s’ouvrent pour les jeunes femmes de Tondo. Elles découvrent avec enthousiasme un monde jusqu’alors inconnu pour elles. L’intégration professionnelle passe par tous ces différents tremplins et premières opportunités. » 

La plateforme Digital Inc. (similaire à un MOOC), conseils et des simulations d’entretiens sont conçus pour penser « l’après » et donner les clés aux jeunes femmes d’un emploi décent et d’une amélioration de leurs conditions de vie. « Les jeunes sont accompagnées pour construire leur projet professionnel mais aussi pour reprendre confiance en elles. Il ne faut pas oublier qu’elles souffrent d’une grande exclusion et doivent faire face à des conditions de vie difficiles. »

Afin de faciliter la formation des jeunes femmes qui sont pour l’essentiel des mères de famille, LP4Y a ouvert en 2013 une crèche (Little Angels Academy). Ce système leur permet de tirer meilleur parti du programme de formation pendant que leurs enfants sont gardés. Cette crèche peut accueillir jusqu’à 25 enfants. Une indemnité hebdomadaire leur est versée afin qu’elles se concentrent sur leur formation et économisent en prévision de dépenses indispensables à leur insertion professionnelle (transports, tenues professionnelles…).

Perspectives et difficultés

Care 4 Change c’est trois équipes de 17 Jeunes formées tous les six mois. Depuis le lancement du programme, plus de 2000 Jeunes ont été accompagnées ! « Les chiffres sont très positifs, surtout ceux précédant la crise du Covid-19, quand 70 à 80 % des jeunes accompagnées réussissaient à intégrer une entreprise. » L’intégration professionnelle des jeunes a connu des jours difficiles en raison de la crise sanitaire et du ralentissement de l’activité économique du pays mais les entreprises tendent à devenir moins frileuses et les partenaires plus actifs grâce à une amélioration récente de la situation. 

« Les confinements successifs nous ont aussi obligés à repenser notre modèle. Le premier confinement a bien entendu été une surprise et a nécessité la mise en place de plans d’urgence. » En avril 2020, en plus de la crise sanitaire, le quartier de Tondo a subi un incendie dévastateur. Tous les volontaires ont été mobilisés et ont organisé la distribution de vêtements et de nourriture à la communauté.

Ensuite, c’est tout une pédagogie à distance qu’il a fallu mettre en place, puisque les centres étaient fermés, il a fallu trouver d’autres moyens et faire preuve de créativité pour garder le lien. 

Pleins de superbes initiatives ont vu le jour. Une plateforme d’e-learning (Digital Inc.) a été créée pour permettre aux jeunes de consulter en ligne des guidances (réflexions autour d’un sujet, d’une discussion, suivi collectif). « C’est un projet que nous avons eu à coeur de développer, avec l’aide de certains partenaires et aujourd’hui c’est avant tout un outil très utile dont nous nous servons toutes les semaines et qui permet un suivi plus individualisé des jeunes » s’enthousiasme Albane.

Cette préparation, et le développement de nouvelles méthodes de pédagogie ont permis de mieux appréhender et faire face aux confinements successifs : « Nous avons désormais des workshops et modules clés en main. Nous avons pu approfondir la réflexion sur comment atteindre et maintenir le lien avec les jeunes, y compris ceux n’ayant pas accès à des moyens de communication comme le téléphone portable. »

La crise sanitaire a complexifié le travail mené auprès des jeunes et leur accès à l’emploi. « La Covid a paupérisé la population, mais les jeunes ont su faire preuve d’une créativité et d’une motivation sans faille, ce qui rend notre action encore plus importante. »


LP4Y est une association soutenue en 2021 par Azickia, le fonds de dotation éditeur de ILA Magazine. Cet article a été écrit par Manon Philippe pour Azickia, en collaboration avec les équipes LP4Y.

Crédit photo : LP4Y

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