Et si l’émancipation des femmes en Arabie Saoudite passait par le sport ?
par Rémi Lévêque
7 mai 2022

Deuxième pays le plus peuplé du monde arabe avec plus de 34 millions d’habitants, l’Arabie Saoudite est aussi un des plus autoritaires. A l’instar de nombre de ces voisins, la politique sociale saoudienne est particulièrement restrictive pour les femmes. Elles sont dépossédées de leurs droits fondamentaux. Pourtant, depuis 2017, le prince héritier Mohammed ben Salmane à lancé une grande politique « inclusive » visant à occidentaliser l’image du pays en accordant plus de liberté à celles-ci. Dans cette dynamique, le sport, longtemps interdit à la gente féminine, est maintenant encouragé par le royaume et ces dernières n’ont pas tardé à se l’approprier. Du basket au football, le sport semble être devenu un moyen d’émancipation privilégié pour une partie des saoudiennes, même si des inégalités subsistent au quotidien.

Depuis sa création en 1932 par Abdelaziz ibn Saoud, l’Arabie Saoudite est une monarchie absolue islamique régit par le wahhabisme qui impose à ses habitants des lois autoritaires et intransigeantes. Ce courant rigoriste préconise un retour aux sources de l’Islam en suivant les préceptes de ces années de création au VII e siècle. Opposé a toute modernisation et nouvelles interprétations des textes religieux, le wahhabisme s’appuie sur une traduction littérale du Coran et de la Sunna (écrits du prophète Mahomet).

Au-delà des préceptes violents de la charia, le wahhabisme s’appuie également sur une ségrégation presque totale des hommes et des femmes en s’appuyant sur le « blocage des moyens » (sadd al dhara’i) qui limite considérablement le droit des femmes. Dans le Global Gender Gap Report de 2021, le Forum Économique Mondial classe l’Arabie Saoudite à la 147 ème place sur 156 au sujet de l’égalité hommes-femmes.

Dans ce contexte longtemps immuable, certaines militantes pour les droits de femmes comme Wajeha al-Huwaider, Manal al-Sharif ou plus récemment Loujain Al-Hathloul ont été arrêtées, exilées, torturées voir assassinées pour avoir lutté contre cette ségrégation.

 

Vision2030, véritable ouverture ou poudre aux yeux ?

En 2016, le prince héritier et leader du pays, Mohammed ben Salmane, lance un plan de développement ambitieux. Le but : faire sortir le pays de sa rente pétrolière. Celle-ci a drastiquement chuté suite à l’effondrement du prix de l’or noir en 2014. Dans ce sens, le gouvernement saoudien souhaite diversifier son économie et moderniser sa vie sociale en impliquant toute sa population.

L’inclusion est donc, selon le projet Vision2030, un point central de l’Arabie Saoudite du futur. En rendant sa politique intérieure plus tolérante, le royaume espère impliquer toutes les strates de la population dans sa transformation, et en particulier les femmes. Pour ce faire, un grand nombre de réformes « progressistes » ont vu le jour.

Dès 2017, le roi Salman a signé un décret autorisant les femmes à conduire. Dans la foulée, les premiers permis de conduire ont été délivrés l’année suivante. En 2018, les habitantes du royaume ont pu, pour la première fois, créer leurs propres entreprises sans l’aval de leur gardien. Un an plus tard, ce sont les voyages à l’étranger qui sont autorisés pour toutes les femmes saoudienne. Depuis 2019, les femmes ont également le droit de vivre seules. L’accès aux stades et aux événements sportifs est permis dès 2018. La pratique sportive féminine fait ainsi son apparition et les clubs professionnels fleurissent un peu partout dans le pays.

Après six années de réformes, les premières observations semblent montrer que ces dernières ont un impact positif sur l’économie et le progrès social du pays. Selon un rapport de l’institut de recherche Brookings Institution, plus d’une saoudienne sur trois est désormais dans la vie active alors qu’elles n’étaient que 20 % il y a encore deux ans. Toujours selon ce rapport, cette forte progression s’explique aussi par la pandémie de coronavirus qui a frappé le monde en 2020 et qui a poussé plus d’un million de travailleurs expatriés vers la sortie. Pour les remplacer, les entreprises se sont donc tournées vers les saoudiennes, plus enclines à accepter des emplois sous-payés alors que ces dernières sont souvent plus diplômées que les hommes.

Dans ce contexte, cette émancipation progressive par le travail est loin d’être parfaite. Les inégalités salariales sont encore très présentes et les droits des femmes restent précaires. Derrière cette ouverture soudaine se cache également encore une répression féroce comme l’illustre l’arrestation massive de militantes féministes le 15 mai 2018. Après avoir manifesté pacifiquement, ces dernières ont été arrêtées, emprisonnées et torturées et sont à ce jour toujours derrière les barreaux pour avoir osé défier le pouvoir royal.

 

Le sport comme nouveau moyen d’émancipation ?

Malgré un bilan imparfait, les avancées sociales au regard de l’égalité homme- femme sont indéniables. Une des améliorations les plus visibles dans la société saoudienne se situe dans l’accès au sport pour toutes les habitantes du royaume. Longtemps contraintes à la pratique du sport en cachette, cette activité est désormais devenu un moyen d’expression et de liberté pour les femmes en Arabie Saoudite. Un tournant qui se manifeste aussi par la publication d’un décret royal en juillet 2017, qui autorise les jeunes filles à prendre des cours de sport dans les écoles publiques.

Depuis ce décret et l’ouverture des stades aux femmes un an plus tard, le sport féminin saoudien connait une véritable avancée. De nombreuses équipes professionnelles de football ou de basket se sont constituées dans tout le royaume. Pourtant, encore en 2008, la création d’une équipe nationale de football en Arabie Saoudite, fortement encouragée par la FIFA avait été interdite par la loi. En 2011, Ahmad Eid Al-Harbi, vice président de la fédération saoudienne de football avait également déclaré que « La société saoudienne était encore très conservatrice même au sujet des clubs masculins. Personne ne peut imaginer sa fille jouant en short devant des milliers de personnes. »

Face à ce contexte hostile, certains clubs n’ont pas attendu l’autorisation officielle pour se lancer. C’est par exemple le cas du club Eastern Flames Football Club fondé en 2006 par des salariées de l’entreprise saoudienne Aramco. D’abord très confidentiel, ce club d’entreprise a vite gagné de nombreuses fans comme l’explique Karina Chapa, co-manageuse de l’équipe : « Le foot, c’est la deuxième religion ici, clairement. Les femmes aussi s’y intéressent, mais, bien sûr, là encore, elles ne le montrent que dans la sphère privée. ».

Grâce à cette popularité, l’équipe a participé au premier tournoi de football de la péninsule arabique aux Émirats Arabes Unis en 2019. Confrontée à des clubs professionnels, cette expérience a été pleine d’enseignements positifs comme l’explique Mayadah Al Hashem, ingénieure chez Aramco et joueuse de l’équipe : « Bien que nous n’ayons gagné aucun matchs, je suis fière de notre performance, car nous avons pu défier nos adversaires et marquer des buts contre des joueurs professionnels qui sont payés pour jouer au football. Nous avons tiré énormément d’enseignements de ce tournoi, qui nous ont permis de nous améliorer. »

Suite à cette expérience, l’équipe a terminé première de sa poule lors de la première édition du championnat de football féminin saoudien en 2020. Pour Mayadah Al Hashem, il s’agit déjà d’une énorme victoire et d’un message : « Après tant d’années, nous avons réussi à montrer que les femmes, aussi, peuvent jouer au football et je suis convaincu que la pratique de ce sport aidera beaucoup de jeunes à s’affirmer et réaliser leurs rêves. L’Arabie Saoudite sera une nation de football féminin bientôt, j’en suis certaine ».

 

Les footballeuses afghanes comme modèles

Si leur parcours en est encore à ses prémices, les joueuses saoudiennes peuvent s’inspirer d’autres équipes féminines du Moyen Orient. En Afghanistan, par exemple, la popularité des joueuses de l’équipe nationale n’a cessé de grandir depuis la création de l’équipe en 2007. Malgré un parcours sportif contrasté, les Lionnes de Khorasan, sont devenues des modèles pour beaucoup d’afghanes et militent pour l’empowerment des femmes au quotidien.

C’est notamment le cas de l’ancienne capitaine de l’équipe, Khalida Popal. Après avoir participé à la création de la ligue de football féminine afghane, la footballeuse a dû s’exiler au Danemark sous la pression des autorités et des Talibans. Cela ne l’a pourtant pas empêché de continuer son combat pour l’émancipation des femmes afghanes. Elle a notamment créé l’organisation Girl Power, qui milite pour donner aux femmes des communautés minoritaires la chance de rencontrer d’autres personnes comme elles et de développer une meilleure estime de soi et une meilleure confiance grâce au sport.

Une autre joueuse emblématique de la sélection afghane, Shamila Kohestani, est également devenue défenseure du sport comme moyen d’émancipation vers la fin de sa carrière. Lors de ses différentes interventions au sein de lycées et d’université internationales, elle parle notamment de l’importance du football pour déconstruire les normes sociétales et écrire l’histoire dans un pays en guerre depuis des décennies.

Pour la capitaine de la sélection afghane, Shabnam Mobarez, la volonté de participer à l’émancipation des femmes dans son pays est la même que ses anciennes coéquipières. Malgré une bi-nationalité danoise, la joueuse n’a pas hésité devant la couleur du maillot. C’est celle de l’Afghanistan : « Ma décision a toujours été motivée par l’équipe où je pouvais avoir le plus d’impact et ou je pouvais être la plus utile. Je sais que le football danois et son équipe nationale sont vraiment bons. Ils sont professionnels, ils font tout, ils gagnent des titres. Mais par rapport à mon impact, je n’aurais rien pu changer. J’aurais juste été une joueuse de plus dans cette équipe et je n’aurais été nulle part avec ça. Mais je savais que si je travaillais avec le football afghan et l’équipe féminine, je pouvais développer quelque chose en Afghanistan. Je pouvais créer des opportunités pour ces jeunes filles qui sont inspirées par des joueuses du monde entier mais elles n’ont pas d’exemple, de modèles concrets à suivre. Donc j’ai essayé d’être cette personne pour elles. »

Malgré un avenir assombri après le retour des Talibans au pouvoir en 2021 , le football féminin afghan et ses actrices continuent de jouer un rôle décisif dans l’émancipation des femmes. Fortes de ces exemples et de l’ouverture progressive de leur pays, les joueuses saoudienne peuvent, elles aussi, espérer un futur meilleur pour toutes les femmes.

 


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