Les jeunes et la démocratie, génération désenchantée ?
par Manon Philippe
16 mars 2022

Lassitude. S’il y a bien un état que provoque les élections chez les Français c’est la lassitude. Programmes ternes, succession de propositions vues et revues, débats politiques entachés par des esclandres feints, politique de façade et langue de bois pour répondre aux sujets qui importent réellement, force est de constater que la politique ne séduit plus. Le résultat est sévère mais unanime : en France, 77% jugent la campagne présidentielle de piètre qualité et 74% estiment qu’elle n’apporte pas de solutions pour le pays.

 

Le syndrome de la fatigue démocratique 

Mais d’où vient donc le désamour des Français pour les élections ? Faut-il réellement s’inquiéter d’un rejet complet de la politique ? A quelques semaines des élections présidentielles, les appels à aller voter se multiplient mais l’abstention, elle, gagne du terrain depuis déjà plusieurs années. En 2017, moins d’un électeur sur cinq de moins de 29 ans avait voté aux deux tours de l’élection présidentielle, et 82% des 18/35 ans n’avaient pas voté aux dernières élections régionales en juin 2021.

L’indifférence des individus en matière politique et civique n’est pas nouvelle, elle est même très tôt envisagée comme une dérive inhérente aux sociétés démocratiques par Alexis de Tocqueville.

Dans un entretien avec le politiste Etienne Ollion, l’ancien chef d’état François Hollande, fait tout de même état d’un essoufflement des institutions françaises : « C’est en France que la crise démocratique est la plus aigüe, comme le montrent, depuis des années, la montée de l’abstention, la violence des mouvements sociaux et l’effondrement des grands partis politiques. Pour y répondre, il faut réformer en profondeur les institutions de la Ve République, lancer un grand mouvement de décentralisation et multiplier les consultations citoyennes ».

 

De la démocratie représentative à la démocratie participative

Si prendre conscience de la valeur de nos systèmes démocratiques semble essentiel à l’heure où la Russie bombarde sans pitié son voisin Ukrainien, les remettre en question paraît tout aussi important : Qu’est-ce que la démocratie ? Vivons-nous réellement en démocratie ?

Le documentaire « Démocratie » produit par Data Gueule en 2018 critique le système actuel au sein duquel la participation des citoyens se résume à remplir un bulletin de vote. « Ce que révèle le film, c’est que la démocratie, au sens d’une réelle égalité entre citoyens, n’a finalement jamais été tentée au niveau étatique », estime Henri Poulain, réalisateur du film.

Aujourd’hui on enferme encore trop souvent le terme « démocratie » au principe de démocratie représentative bien plus restrictif. Une exception est mise en avant dans le documentaire, avec l’écriture de la Constitution Islandaise par des citoyens, dont l’application est restée bloquée par le parlement.

Pour le politologue Loïc Blondiaux, le dispositif d’assemblée citoyenne pourrait bien être la solution face à la crise de la représentation politique que nous connaissons. Une réponse efficace pour une démocratie plus inclusive et délibérative.  Cette idée s’impose peu à peu dans le débat public, y compris à l’échelle nationale, comme la Convention citoyenne pour le climat (149 propositions élaborées par un collectif de citoyens tirés au sort) a pu le laisser entrevoir.

Mais l’enthousiasme a laissé place au découragement et à la consternation lorsque l’examen de la loi à l’Assemblée nationale a donné lieu au recul de l’essentiel des propositions de la Convention citoyenne. Il faut pourtant persévérer car si le vote est un outil intéressant de la démocratie, c’est aussi le plus élémentaire et imparfait.

 

Repenser nos modes de scrutin

Le vote, cet outil revendiqué comme symbole de la démocratie fait lui-même l’objet de vives objections. Le philosophe vulgarisateur Monsieur Phi nous indique qu’une décision est démocratique si elle respecte le principe de majorité. Autrement dit, dans une élection démocratique, la préférence de la majorité doit l’emporter.

Pourtant notre mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours ne remplit pas systématiquement cette condition. De nombreux mathématiciens estiment même que ce type de scrutin conduit à des aberrations démocratiques et au dilemme du vote utile. D’abord parce qu’il implique de se positionner pour un seul candidat sans pouvoir exprimer d’opinions sur ses adversaires, ensuite parce qu’il ne donne aucune information sur la nature du choix des citoyens. Il ne permet pas de différencier un vote d’adhésion, d’un vote utile ou d’un vote de rejet, et désavantage les familles politiques avec un nombre important de candidats (il avantage donc les candidats les plus clivants).

L’exemple le plus parlant est celui des élections présidentielles de 2002 : Lionel Jospin, candidat du parti socialiste était donné gagnant dans les sondages face à tous les autres candidats, il ne passe pourtant pas au second tour en raison de la multiplication des candidatures sur son axe politique à gauche. Il était pourtant le candidat préféré des Français.

Ces derniers temps, des modes de scrutins alternatifs sont venus nourrir la réflexion pour corriger ce paradoxe bien connu des mathématiciens, le paradoxe d’Arrow. En 2007 deux chercheurs du CNRS, Michel Balinski et Rida Laraki proposent une adaptation de la méthode de Condorcet selon laquelle, dans une élection si une alternative est préférée par une majorité à toute autre alternative, alors elle doit être élue.

A partir du principe de Condorcet, les mathématiciens inventent le jugement majoritaire, un mode de scrutin qui consiste à évaluer l’ensemble des candidats en leur attribuant une note ou une mention. Le candidat le mieux évalué par la majorité remporte l’élection. Malgré un résultat très controversé, l’initiative citoyenne de la Primaire Populaire est le signe d’une réelle volonté de changement et de réflexion des citoyens autour de notre mode scrutin. Près de 400 000 électeurs ont pu s’essayer au jugement majoritaire pour dégager un candidat représentant la gauche !

 

Faire renaître l’intérêt et éduquer les jeunes à la politique

Conscientes du désintérêt grandissant des jeunes pour les élections présidentielles, de nombreuses associations redoublent d’imagination et d’ingéniosité pour faire (re)naitre l’engagement et donner goût à la politique.

A tout juste 22 ans, Grégoire Cazcarra fonde Elyze, une application qui recense les propositions de tous les candidats à la présidentielle et permet à ses utilisateurs de trouver le candidat qui leur correspond le mieux. En seulement quelques semaines, Elyze a été téléchargée plus de 2 millions de fois.

L’association Makesense, championne de la mobilisation citoyenne s’est également adaptée aux questions préoccupant les jeunes électeurs et a lancé en janvier la plateforme « Paumé.e.s dans mes élections ».  Elle propose des rencontres afin d’échanger et réfléchir collectivement, des contenus informatifs sur les programmes des candidats, des pistes de réflexion pour repenser la politique et s’engager autrement en tant que citoyen.

L’organisation « Penser l’après » a donné 48 heures à plus de 200 jeunes aux parcours académiques et professionnels différents pour redonner une place à la jeunesse dans le débat politique et pallier leur manque de représentation. Dix équipes se sont constituées lors de ce hackathon pour apporter des réponses concrètes mettant les jeunes au cœur de la démocratie. Les équipes gagnantes auront l’occasion d’échanger pendant une heure avec la secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de l’engagement. Penser l’après anime des ateliers, débats et masterclass sur la politique, et entend utiliser la pédagogie pour impliquer les jeunes aux débats d’actualité et aux grands enjeux contemporains.

Même volonté et même méthode pour le Relais Jeunes, projet cofondé par plusieurs associations étudiantes qui souhaitent « renouer le lien entre la jeunesse et l’engagement politique ». Une centaine de jeunes se sont ainsi lancés depuis février dans un tour de France de plusieurs mois pour mettre en valeur des actions touchant à la démocratie, l’écologie et la justice sociale. Au total, ce relai parcourra plus de 3000 km et fera étape dans une vingtaine de ville où des conférences portant sur la solidarité, la préservation de l’environnement et l’engagement citoyen seront données par des experts. Cette marche est ouverte à tous et vise à encourager les citoyens à s’informer et à s’engager.

 

Une jeunesse en quête de nouvelles formes d’engagement

Contrairement à ce que la montée de l’abstentionnisme pourrait faire croire, les jeunes sont plus engagés que jamais. Leurs pratiques d’engagement et de bénévolat se sont même renforcées au cours des dernières années, en particulier pendant la crise du Covid-19. Les jeunes s’impliquent mais le font différemment, en dehors des partis et des organisations politiques plus traditionnelles. Manifestations, mobilisation sur les réseaux sociaux, engagement associatif, le moyen d’exprimer son avis et ses revendications prend de nouveaux visages.

Et si les jeunes délaissaient la démocratie représentative parce qu’ils comprennent mieux que quiconque l’urgence d’une démocratie directe et participative ? En dépit des titres racoleurs à la veille des élections présidentielles, et de la défiance croissante vis-à-vis des institutions démocratiques, la crainte de la dépolitisation de toute une génération ne paraît pas fondée.

Souvent mis de côté du débat politique, les jeunes n’en restent pas moins mobilisés et expriment de nouvelles exigences démocratiques. « Si la jeunesse n’a pas toujours raison la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort », scandait François Mitterrand dans un discours à l’Assemblée nationale le 8 mai 1968.

 

Lexique pour approfondir :

Paradoxe d’Arrow : Lorsqu’il est demandé aux électeurs de choisir un candidat, les résultats d’une élection peuvent être modifiés par l’introduction ou le retrait d’une ou plusieurs candidatures. La présence de « petits » candidats perturbe le résultat final des élections.

Principe de Condorcet : Si un choix est préféré à tout autre par une majorité, alors ce choix doit être élu. Le vainqueur, s’il existe, est le candidat qui comparé à chaque autre candidat est systématiquement le choix préféré.

Zoom sur le principe de Condorcet

Jugement majoritaire : le jugement majoritaire est une méthode de vote qui propose aux électeurs de voter en évaluant l’ensemble des candidats en leur attribuant une mention allant par exemple « d’excellent » à « rejeter ». Le candidat le mieux évalué remporte l’élection. Avec le jugement majoritaire on supprime le paradoxe d’Arrow.

Zoom sur le jugement majoritaire

 

 


A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.

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