L’histoire d’ARCA est atypique et force l’admiration. Il y a 30 ans dans la favela de Vila Prudente à Sao Paulo, une religieuse française pose la première pierre à l’édifice de ce petit miracle qu’est aujourd’hui l’association ARCA. Elle lance l’initiative d’une communauté réunissant les mères de familles de la favela et favorise l’apprentissage de la couture afin qu’elles obtiennent leur autonomie financière. A mesure que l’activité se développe, un centre en capacité d’accueillir les enfants dont les mères travaillent est créé. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais le projet est repris par plusieurs Français à la fin des années 90 et obtient le statut d’association d’utilité publique au Brésil. Et c’est ainsi que l’aventure commence.
Naissance du projet ARCA
ARCA est implantée dans la plus ancienne favela de Sao Paulo, Vila Prudente qui compte aujourd’hui entre 8000 et 10 000 habitants. C’est un partenariat avec la municipalité de Sao Paulo en 2004 qui a permis la création de la branche « Arca Do Saber ». « Au Brésil les enfants scolarisés en école publique suivent un enseignement d’une durée de 4 heures par jour.
Dans ce contexte de favela, il était important de créer un lieu unique pour eux, de leur proposer des activités socio-éducatives, plutôt qu’ils n’errent dans les rues » me raconte Emmanuelle Grisez, vice-présidente d’ARCA. La collaboration avec la municipalité a permis l’identification des familles et des enfants les plus à risques. En 20 ans Arca Do Saber est devenu un soutien majeur pour ces familles. Le centre socio-éducatif accueille aujourd’hui 130 enfants âgés de 6 à 15 ans et a pour ambition de porter ce nombre à 180 en 2022.
Arca do Crescer, la deuxième branche d’ARCA, est un projet de formation professionnelle créé fin 2016 à destination des jeunes adultes de la favela Vila Prudente, et plus spécifiquement des adolescents sortis d’Arca Do Saber. « A 15 ans c’est la fin de l’enseignement obligatoire pour ces jeunes, or c’est une période de grande vulnérabilité. Les accompagner jusqu’à la phase adulte en leur offrant des opportunités de formations a été la suite logique des choses. » explique Géraldine, responsable du centre de formation professionnelle d’ARCA.
Au Brésil la formation professionnelle est systématiquement payante et inaccessible pour ces jeunes. De plus, ARCA travaille avec le Senai, un organisme de formation professionnelle reconnu au Brésil. « Le label Senai est un gage de qualité et de confiance pour les recruteurs » poursuit Géraldine. Grâce aux partenariats avec des entreprises françaises implantées à Sao Paulo, ARCA a mis en place des formations professionnelles gratuites et courtes (de 3 à 4 mois) dans les domaines de l’hôtellerie, de la boulangerie, de la vente et plus récemment dans la logistique et l’auto-entrepreneuriat.
Depuis, le programme n’a cessé de prendre de l’ampleur, cette année 169 diplômes en présentiel ont été délivrés. « Le ratio est très positif car les familles ont parfois du mal à percevoir la plus-value immédiate des formations et privilégient l’immédiateté d’un revenu, ce qui peut provoquer des abandons en cours de formation ».
Arca Do Crescer
Depuis 2016, l’offre de formation s’est étendue, a évolué. La crise du covid a particulièrement affecté le secteur tertiaire, et la formation en hôtellerie initialement l’une des premières proposées, a été supprimée. A l’inverse, la formation en vente continue d’attirer beaucoup de jeunes qui viennent pour travailler le contact avec l’autre, la prise de parole en public. L’ouverture de la formation en logistique début 2021 a remporté un vif succès et une demande importante car le secteur est en plein développement. « Autre changement majeur, cette année nous avons développé beaucoup de cours et une formation en rapport avec l’autoentrepreneuriat. »
Avec la crise sanitaire et l’explosion du chômage, les femmes qui se sont retrouvées sans ressources financières ont dû sortir de leur zone de confort et trouver des solutions alternatives pour obtenir un revenu. Un entrepreneuriat de « survie » en quelque sorte. « Il s’agit pour le moment d’un projet pilote que nous aimerions développer en 2022 pour nous adapter aux besoins des habitants de Vila Prudente et à la situation actuelle. »
En plus des cours traditionnels, les élèves sont formés aux outils informatiques et numériques, à l’auto-entreprenariat et à la gestion financière personnelle. Des modules d’anglais, de préparation aux entretiens d’embauche et d’aide à la rédaction de CVs sont également proposés pour faciliter leur insertion et leur entrée dans le monde du travail.
Cultiver l’autonomie des jeunes et leur confiance en eux représente un gros travail. D’après une enquête menée auprès des habitants de la favela, 67% des adultes souffrent d’une faible estime de soi. « Toutes nos formations ont une partie technique importante mais ce qui fait notre force c’est le travail d’accompagnement, de confiance en soi et en l’avenir. »
Cet accompagnement se poursuit, y compris à la fin de la formation : depuis 2020, un système de mentoring a été mis en place entre des salariés des entreprises partenaires et les jeunes formés et sortis d’Arca Do Crescer.
Allier formation & mentoring pour de meilleures chances de réussite
Après leur formation, les élèves sont suivis pendant leur processus de reprise d’étude ou de recherche d’emploi. Ces derniers sont briefés et coachés pendant toutes les étapes du recrutement afin d’avoir les meilleures chances de rentrer dans le monde du travail. Ariane, responsable du projet de mentoring assure un lien direct avec les entreprises et leur service de Ressources humaines en amont et après le recrutement. « Sur les douze élèves de notre dernière promotion en logistique, nous sommes fiers d’annoncer que six d’entre eux ont déjà été embauchés chez Amazon et Alstom. »
Un suivi de long terme pourra être réalisé pour suivre l’évolution de ces jeunes salariés grâce au programme de mentoring. « La question du mentoring s’est posée car nous sommes une petite équipe opérationnelle, et il devenait difficile de garder contact et de suivre tous les jeunes. Il a fallu réfléchir à comment poursuivre cet accompagnement tout en leur laissant plus d’autonomie. »
ARCA fait donc appel à plusieurs entreprises partenaires comme Accor Hotels ou BNP Paribas et lance un projet pilote en 2020 avec 8 duos mentors/mentorés. Les entreprises et leurs salariés ont accueilli avec enthousiasme ce projet, il y a d’ailleurs plus de demandes que d’élèves à mentorer.
« J’effectue un entretien avec chaque mentor et analyse de près son parcours pour vérifier que la personne est bien apte à aider le jeune. Il est important que les mentors soient capables de s’adapter à la réalité des jeunes qui viennent des favelas, de faire preuve d’empathie » détaille Ariane.
Le processus pour devenir mentor est en effet rigoureux et bien pensé. En plus de ces entretiens, les mentors présélectionnés sont invités à passer un test fréquemment utilisé en coaching comportemental pour détecter leurs points forts et leurs axes d’amélioration. Arca travaille également aux côtés d’un institut de mentoring et de coaching qui met à disposition un cours en ligne sur le mentoring. Chaque mentor doit obligatoirement suivre cette formation.
Suite à ce processus, les duos sont en contact pendant 6 mois, plusieurs moments d’échanges ( 2 rencontres par mois environ) sont prévus afin de dialoguer, de mettre en place une stratégie pour réaliser le projet de l’élève mentoré. « Nous créons des pairs mentors/ mentorés en fonction des objectifs et professionnels des jeunes. Tout le contenu du programme de mentoring est axé sur le parcours du jeune et sur ses aspirations. L’objectif c’est que l’élève développe un autre réseau de soutien en dehors de leur famille, un réseau qui pourra les aider professionnellement. »
Le projet pilote a été un succès, et une autre session (20 élèves mentorés) vient de s’achever. Sur ces 20 élèves, 18 sont parvenus à aller au bout du programme de mentoring.
« Accompagner ces jeunes sur le chemin professionnel est notre plus grand défi mais aussi notre plus grande réussite. Cela passe par l’éducation, et la bienveillance : les jeunes doivent avoir conscience que leur univers ne se limite pas à la favela »
ARCA est une association soutenue par Azickia, le fonds de dotation éditeur de ILA Magazine. Cet article a été écrit par Manon Philippe pour Azickia, en collaboration avec les équipes de Arca.
Crédit photo : ARCA