La masculinité, qu’est-ce que c’est ? Le dictionnaire Robert nous indique qu’il s’agit d’un « ensemble de caractères propres aux hommes », tandis que le dico du web Wikipédia nous enseigne que la masculinité serait un « ensemble d’attributs, de comportements et de rôles associés aux garçons et aux hommes ». Le CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) nous enseigne enfin que ce nom commun « est propre à l’homme en tant qu’être humain du sexe doué du pouvoir de fécondation ».
Les définitions se ressemblent donc, et s’assemblent bien souvent pour former un lieu commun de ce qu’est et devrait être un homme, un vrai. C’est là que Le Robert est de retour, et précise que la masculinité est également un « ensemble de caractères, de comportements stéréotypés correspondant à une image sociale traditionnelle des hommes ».
Avec l’arrivée du mot stéréotype dans la balance, le sujet se complique, et la notion de masculinité toxique apparaît dans l’équation.
La masculinité toxique, c’est quoi au juste ?
Dans notre société occidentale moderne, les stéréotypes entourant les comportements des hommes se traduisent bien souvent par les mêmes schémas : répression des émotions, mise en avant de sa virilité par la domination et la compétition, rejet de toute attitude ou attribut jugé « efféminé ». Conséquences ? Des effets hautement néfastes, comme la violence physique ou sexuelle, l’agressivité, la misogynie ou l’homophobie. C’est ce que l’on appelle la masculinité toxique. Ce terme, qui revient souvent depuis quelques années, est lié à l’émancipation grandissante des femmes.
Si l’expression a été mise en lumière par les milieux féministes, c’est pour dénoncer cette posture de « mâle alpha » légitimée et parfois glorifiée dans notre société. Le but ? Certainement pas de diaboliser les hommes, mais bien de mettre en avant la dangerosité de ces comportements nocifs et d’éduquer sur le sujet. Car les premières victimes de la masculinité toxique sont bel et bien les individus masculins eux-mêmes.
“Boys will be boys”, “big boys don’t cry”, sont des expressions encore trop utilisées pour justifier les agissements et dicter la conduite des « vrais garçons ». Comme l’explique Niobe WAY, Professeure en Développement Psychologique à l’Université de New-York dans la vidéo NBC news Toxic Masculinity In Boys Is Fueling An Epidemic Of Loneliness : « Quand les garçons grandissent, ils ont tendance à intégrer les attentes que la société a des hommes, par exemple le fait de prendre du recul sur leur capacité de sensibilité et de ressenti de leurs émotions afin de devenir un homme ».
Les conséquences de la masculinité toxique
La répression des émotions par la gent masculine, une fausse bonne idée ? Loin d’être une force, l’absence d’écoute de soi et de ses sentiments a en réalité un impact sévère sur la santé mentale des individus, et ce dès le plus jeune âge. La solitude, l’anxiété, ou la dépression peuvent faire leur apparition. Le silence et le manque d’écoute qui les accompagnent peuvent conduire à des conséquences dramatiques, et les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, 75% des morts par suicide sont des hommes.
La masculinité toxique semble également ralentir le processus d’émancipation des femmes. Que ce soit à l’époque de la chasse aux sorcières, de la lutte pour le droit de vote ou pour le droit à la contraception, lorsque les femmes s’expriment pour leurs droits et libertés, les hommes se sentent « menacés » et cherchent à diaboliser leur parole. Un exemple parlant ? En France, Victoire Tuaillon, autrice de Les Couilles sur la Table explique qu’en 2006, le polémiste Éric Zemmour sort un livre intitulé Le Premier Sexe (en référence à Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir) dans lequel il se désole de voir que « l’homme “ait perdu ses repères”, soit “castré”, frappé d’”un immense désarroi”, “interdit de parole” et “interdit d’existence”. Pourquoi ? À cause des femmes et du féminisme, bien sûr. »
Ces discours réactionnaires alimentés par des groupes antiféministes et misogynes peuvent conduire à des conséquences dramatiques. Le 6 décembre 1989 à l’Ecole Polytechnique de Montréal, Marc Lépine ouvre le feu, tue 14 femmes et blesse 13 autres personnes (dont 9 femmes). Lors de son attaque il dit à une de ses victimes : « Vous êtes des femmes, vous allez devenir des ingénieures. Vous n’êtes toutes qu’un tas de féministes, je hais les féministes. ». On peut citer d’autres attentats « masculinistes » de ce genre comme la tuerie d’Isla Vista ou l’attaque à la voiture-bélier de Toronto. Ces massacres de femmes ont été commis par des hommes se réclamant de la communauté Incel (involontary celibate ou célibataire involontaire) : ces membres remettent la cause de leur célibat sur le dos des femmes, et les accusent d’être responsables s’ils ne sont pas épanouis amoureusement et sexuellement.
En plus de ces tueries de masse, on peut également parler des féminicides comptabilisés partout dans le monde. En France : au moment d’écrire ces lignes, 93 féminicides ont été commis par un conjoint ou ex-conjoint en 2021, 102 en 2020. Ces comportements déviants et toxiques ont non seulement un lourd bilan humain, mais également un bilan économique flagrant.
Dans son essai nommé Le coût de la virilité, Lucile Peytavin nous montre comment les comportements virils sont responsables de la majorité des coûts des budgets des institutions françaises : « Les comportements virils masculins sont responsables chaque année de 7 milliards sur les 9,06 milliards d’euros de budget total de la Justice, dont 3,5 milliards sur les 3,75 milliards d’euros du budget de l’administration pénitentiaire, de 8,6 milliards sur les 13,1 milliards d’euros de budget total des forces de l’ordre […] Au total, j’estime à 95,2 milliards d’euros par an le coût des comportements virils sur l’économie française ».
Quand la culture dénonce les comportements toxiques
Avec une parole des femmes davantage prise au sérieux ces dernières décennies et la mise en lumière des comportements masculins dangereux, on a pu voir apparaître de plus en plus d’outils permettant la déconstruction des stéréotypes de genres de notre société : livres, campagnes de pub, films, chansons, etc. deviennent ainsi des supports de sensibilisation essentiels pour nous extraire de nos schémas de pensée néfastes.
Un exemple connu en France, le chanteur français Eddy De Pretto a écrit et interprété sa chanson Kid, dans laquelle il raconte son enfance et les paroles de son père qui « n’veux voir aucune larme glisser » ou « n’veux voir aucune once féminine » dans le comportement de son fils. Via sa chanson, Eddy De Pretto dénonce les diktats des comportements masculins virils véhiculés dès l’enfance qu’il appelle « virilité abusive ». Kid s’est placé numéro 3 du Top Singles France en 2017.
Plus récemment, en 2019, c’est la marque d’un produit référence de la masculinité et de la virilité qui a fait parler d’elle : Gillette reprend son célèbre slogan “The best a man can get” mais le remplace par “The best men can be”. Dans la vidéo, on peut voir plusieurs scènes de harcèlement sexuel, misogynie, blagues sexistes, avant de passer par des extraits de journaux télévisés évoquant le mouvement #Metoo. Une voix off clôt la publicité par « les garçons qui regardent aujourd’hui, seront les hommes de demain ». Cette campagne de la célèbre marque de rasoirs avait reçu autant d’éloges que de critiques lors de sa sortie, à tel point qu’un mouvement de boycottage de Gillette avait été lancé par ses détracteurs.
Si les moyens utilisés pour dénoncer la masculinité toxique tendent ainsi à se multiplier, cette dernière est encore loin de cesser d’exister, car, malheureusement, elle est bien ancrée dans notre société. Savoir la reconnaître et la dénoncer est déjà une première étape essentielle pour y mettre un terme.
Article écrit par Elisa Prejeant – Journaliste web pour Penser L’après
Image : @Yasin Yusuf – Unsplash
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