Plus de la moitié des jeunes femmes ont déjà été victimes de cyberharcèlement à travers le monde. Chantage sexuel, “revenge porn”, menaces ou encore diffamation, les formes de la violence numérique à l’égard des femmes sont multiples. Au Maroc, sept victimes sur 10 préfèrent garder le silence par honte ou par peur des réactions de l’entourage familier. Féministes et associations se mobilisent pour sensibiliser la population à ces violences virtuelles, pourtant bien réelles.
Avec le travail et l’école à distance, le confinement a été favorable à une hausse du temps passé en ligne, concomitant à un accroissement des violences numériques à l’égard des femmes. Cette tendance a été globale comme le révèle plusieurs études menées à travers le monde par l’association e-enfance en France, le UK Safer Internet Center au Royaume-Uni ou encore Mobilising for Rights Associates au Maroc et Digital Rights Foundation au Pakistan. C’est face à ce constat qu’est né le mouvement Diha F’rassek sur Instagram en mai 2020, soit un peu moins de deux mois après l’entrée en vigueur du confinement au Maroc. Constituée dans l’urgence, la page qui dénonce les comptes des agresseurs a rapidement gagné en popularité et est devenue un véritable relais entre victimes et autorités.
A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous. Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France. Photo @Niv Singer – Unsplash
L’affaire Hanaa, un cas emblématique
A la fin du mois de décembre 2020, une vidéo à caractère pornographique fait le tour des réseaux sociaux marocains. Sur cette vidéo, on y voit une jeune femme, Hanaa, vêtue d’un niqab et filmée en plein rapport sexuel avec un homme, non identifiable. Interrogé par le journal Le Monde, l’avocat de la jeune femme, Me Mohamed Hamidi, explique que ces images filmées en 2016 ont été prises et diffusées à son insu. Ce type de vidéo porte un nom, on les appelle “revenge porn” (vengeance pornographique). Cette pratique consiste à publier sur le web des contenus pornographiques d’une personne sans son consentement, afin d’exercer une pression ou un chantage. Quelques semaines plus tard, cette mère célibataire de deux enfants est arrêtée à Tétouan et condamnée à un mois de prison pour “outrage public à la pudeur” et “relations sexuelles hors mariage”, en vertu de l’article 490 du Code pénal marocain. Pour ce qui est de l’homme qui a partagé la vidéo, il n’a pas été arrêté puisqu’il réside désormais aux Pays-Bas. Le jour de sa sortie de prison, le 3 février 2021, Hanaa a déclaré son intention de porter plainte contre les sites pornographiques qui ont diffusé sa vidéo et contre l’homme qui a filmé et partagé les images à son insu. Mais l’affaire Hanaa n’est pas un cas isolé. Si depuis 2018, le Maroc s’est doté d’une loi contre les violences faites aux femmes, sanctionnant le harcèlement sexuel dans la sphère public et les violences numériques, la législation se retourne encore trop souvent contre les victimes, encourageant les femmes à garder le silence. Selon le nouvel article 447.1, la diffusion de photos ou d’enregistrements “émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs” est puni d’un “emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams.” Si elle a le mérite de définir les violences faites aux femmes, qu’elles soient corporelles, psychologiques, sexuelles ou économiques, “cette loi ne protège pas suffisamment les femmes et surtout définit mal le travail de la police” déplore Bouchra Abdou, présidente de l’association Tahadi pour l’Egalité et la Citoyenneté (ATEC), à l’origine d’une application anti-violence numérique.Le mouvement Diha F’rassek qui dénonce les agresseurs
Le mouvement Diha F’rassek est né en réaction à cette vague de cyberharcèlements, qui ont ciblé plusieurs jeunes femmes sur le web pendant le confinement. “Dès le début du mois de mars, j’ai commencé à recevoir, sur ma page personnelle, de nombreux messages de jeunes filles, collégiennes, lycéennes et étudiantes, harcelées” explique Houda, cofondatrice de la page Diha F’rassek. Une fois créé par Houda et ses amis Sophia et Mohamed, le mouvement #DihaFrassek prend de l’ampleur au Maroc et le hashtag circule rapidement sur Instagram. Houda reçoit de nombreux appels à l’aide de jeunes filles, pour la plupart, mineures. En effet, selon un rapport émis par l’ATEC sur les violences numériques au Maroc en 2020, les femmes victimes de cyberharcèlement sont, à une écrasante majorité, des collégiennes/lycéennes et des étudiantes. “La page a servi de relais entre les adolescentes et l’association l’ATEC, qui a pu fournir aux victimes des appuis psychologiques mais aussi juridiques” poursuit-elle. Originellement, le mouvement s’est constitué pour apporter du soutien aux victimes de cyberharcèlement et pour signaler les pages qui diffusaient les contenus incriminés. Grâce aux signalements massifs du groupe, de nombreuses pages sont alors supprimées. Mais Diha F’rassek (littéralement “Occupe-toi de tes affaires !”) a rapidement pris une dimension militante. Le principal motif de son courroux : le controversé article 490 du Code pénal marocain.L’article 490 du Code pénal en question
En janvier dernier, la nouvelle loi 103-13 sur les violences faites aux femmes était censée protéger la jeune Hanaa. Mais c’est tout le contraire qui s’est passé. Les relations sexuelles hors mariages étant condamnées par l’article 490 du Code pénal, la loi s’est retournée contre elle, et ces images ont servi de preuves à sa culpabilité, puisque l’harceleur n’était pas son mari. Depuis 2019, nombreux sont ceux qui élèvent la voix pour réclamer l’abrogation de cet article de loi. En septembre 2019, près de 500 personnalités marocaines avaient signé un manifeste pour réclamer sa suppression du Code pénal. Quelques jours avant la libération d’Hanaa, le hashtag #Stop490 étaient repris massivement par les internautes sur les réseaux sociaux. En plus d’être archaïque, cet article 490 représente un frein énorme à la libération de la parole des victimes. Pour Stéphanie Willman Bordat, cofondatrice de l’association Mobilising for Rights Associates (MRA), cet article représente “le plus gros obstacle pour les victimes”. “Elles ont raison de ne pas engager de poursuites dans ces circonstances, car il existe des risques réels de poursuites pour ces victimes” déplore-t-elle. Selon une étude menée par MRA en octobre 2019 sur 1 794 femmes, 70% des femmes victimes de violences facilitées par les technologies au Maroc sont restées silencieuses. Quant aux femmes qui ont signalé ces violences aux autorités, 8 sur 10 se sont dites insatisfaites quant à la réponse donnée par les acteurs publics, déclarant qu’elles n’ont pas été prises au sérieux, voire pire, qu’elles ont été accusées d’être elles-mêmes fautives. A la crainte d’être elles-mêmes poursuivies, s’ajoutent la peur des réactions de l’entourage familier et le poids des mentalités traditionnelles. “La crainte de la Fahicha (“scandale”) empêche beaucoup de victimes à porter plainte” explique Houda, qui poursuit : “La notion de Hchouma (“honte”), cette idée que ce genre d’affaires pourrait porter atteinte à la réputation de sa famille, est très toxique au Maroc.”Changer les mentalités, les institutions et les services publics
Pour les féministes et associations qui suivent les victimes, il faut non seulement changer les mentalités mais également améliorer les institutions et les services publics. “Dans la société marocaine, les filles sont trop souvent perçues comme coupables et pas assez considérées comme des victimes” pointe du doigt Bouchra Abdou. Pour protéger davantage les victimes, elle prône pour une lutte organisée et transversale, comprenant des campagnes de prévention et de sensibilisation contre les cyberviolences, la création d’une autorité nationale chargée de veiller à la sécurité en ligne des citoyens, la création d’unités spécialisées au sein de la police et de la gendarmerie pour traiter les cas de cyberviolences, la simplification des procédures judiciaires ou encore la création d’une nouvelle loi, “plus protectrice des victimes”. Pour Abdou, il est également essentiel que les violences numériques soient reconnues comme violences réelles. En effet, les répercussions de ces violences dites “virtuelles” sont pourtant bien réelles sur la vie des femme. Dans son étude, l’ATEC a montré que le taux de suicide est élevé chez les victimes de violences numériques. Les tentatives de suicide représentent 19% des victimes de cyberharcèlement. Pour sa présidente, il faut briser l’impunité des agresseurs en “renforçant les moyens légaux de défense pour les victimes”. Un avis partagé par Willman-Bordat, qui regrette l’absence d’ordonnance de protection au Maroc, qui permet d’assurer, dans l’urgence, la protection des victimes de violences. “Tant qu’il n’y aura pas d’ordonnance de protection, le retrait de l’article 490, pas d’instructions précises à la police par des lois et des procédures identifiées, la situation ne changera pas” assure-t-elle. Elle réclame également une plus grande implication des acteurs du numérique – opérateurs téléphoniques, sites pornographiques et de prostitution, afin que ceux-ci se dotent de contrats rappelant que le cyberharcèlement est un crime puni par la loi.A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous. Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France. Photo @Niv Singer – Unsplash