La danse, thérapie pour le corps et l’esprit, gagne du terrain dans le monde du soin
par Manon Philippe
10 février 2021

En cette période trouble, notre attention se porte plus que jamais sur notre système de santé. De son côté, le monde de la culture est appelé à se renouveler et à bouger les lignes pour continuer d’exister. Service essentiel ? Non essentiel ? La culture et la santé sont présentées aujourd’hui comme deux mondes bien distincts, presque opposés. Entre création et soin, un lien ancien existe pourtant, celui de l’art-thérapie.

 

Danse thérapie, de la naissance à la reconnaissance du mouvement

En novembre 2019, l’OMS étudiait pour la première fois dans un rapport détaillé les liens entre art et santé. Réunissant des données scientifiques récoltées dans le monde entier issues de plus de 900 sources, il s’agit d’une des études les plus complètes sur le sujet à ce jour. Elle reconnaît officiellement l’art comme bénéfique et agissant sur deux champs : celui de la santé mentale, et de la santé physique. Sur ce dernier plan, les arts de la scène, la danse notamment font figure de véritables traitements. Dans le cas des patients atteints de la maladie de Parkinson, il est prouvé scientifiquement depuis déjà plusieurs années que la danse permet d’améliorer significativement les scores moteurs des malades.

Il est finalement surprenant qu’une telle étude de l’OMS voie le jour aussi tardivement. Les expérimentations en matière d’art thérapie n’en sont en effet pas à leurs débuts. La danse thérapie s’est développée dès les années 40, et est intrinsèquement liée à la naissance et l’émergence de la danse moderne. Aux Etats Unis, c’est Marian Chace la pionnière en la matière qui fonde en 1960 l’Association de Danse Thérapie. Elle expérimente son travail thérapeutique d’abord à l’hôpital St Elizabeth à Washington, puis dans un établissement psychiatrique. Ses méthodes font rapidement leurs preuves et deviennent reconnues et recommandées par plusieurs psychiatres.

En Europe, c’est à peu près à la même époque que naît le mouvement, auquel s’intéressent Rudolf Laban, précurseur de la danse moderne en Allemagne, ou encore Mary Whitehouse. Cette dernière est notamment à l’origine du « mouvement authentique », une technique invitant les patients à marier mouvement et émotion, et à se laisser diriger par leur sensation et leur corps. Cette démarche d’intériorisation et de conscience de soi est aujourd’hui particulièrement présente aux Etats Unis.

 

Réinventer le milieu hospitalier par la danse

Et aujourd’hui ? Qui sont donc les héros faisant de la danse un outil de bien-être et de santé ? Ils investissent les hôpitaux, les maisons de retraite, les prisons et démocratisent un art qui paraît hors de portée pour beaucoup.

Loin des chorégraphes traditionnels, Thierry Thieû Niang a fait danser enfants, adolescents, seniors souffrant d’Alzheimer. C’est en travaillant avec le service psychiatrie des enfants autistes de l’hôpital 3bisf à Aix en Provence qu’il fusionne pour la première fois danse et soin. Il continuera ensuite son action dans d’autres unités hospitalières et dans d’autres milieux éloignés du monde de la danse. Dans le documentaire « Une Jeune fille de 90 ans » diffusé sur Arte, le chorégraphe anime un atelier de danse au service gériatrie de l’hôpital de Charles Foix à Ivry. Ce long métrage nous permet d’assister avec émotion et délicatesse à un véritable « réveil à la vie de femmes et d’hommes, à la redécouverte d’une sensualité profondément enfouie » grâce à la pratique de la danse. Mais le chorégraphe ne veut en aucun cas être assimilé à un thérapeute ou un soignant : « Je ne guéris rien mais j’accompagne un geste qui amène du présent, et ce présent c’est la vie. »

La danse entretient corps et esprit, et nous apprend à cultiver le lâcher prise

L’impact positif de la danse, source de dignité et de bien être pour les patients n’est plus à remettre en question. Dès le début des années 2000, une collaboration entre les ministères de la Culture et celui de la Santé a permis la naissance de missions telles que « Culture à l’hôpital ». Depuis, un appel à projet est lancé chaque année afin de favoriser l’émergence d’une politique culturelle au sein des établissements de santé d’Île de France. Pour Lazare Benaroyo, professeur de philosophie de la médecine à l’Université de Lausanne, l’intégration de l’art et la culture à la vie de l’hôpital fait de ce dernier un espace profondément éthique et humaniste. Cette humanisation offre une parenthèse aux patients, une bulle de liberté.

 

La danse comme outil de résilience

Des esprits et des corps malmenés par la vie, abîmés … C’est à cette souffrance, aux chocs post-traumatiques auxquels ont choisi de se confronter plusieurs artistes professionnels.

Bolewa Sabourin, est un danseur Franco-Congolais de talent. Sa rencontre avec le docteur Denis Mukwege, nommé prix Nobel de la paix en 2018, l’a poussé à repenser son terrain de jeu favori – la danse – comme outil de résilience. Denis Mukwege, ou « le médecin des femmes » a été salué mondialement pour les soins qu’il a procurés à de nombreuses victimes d’agressions et de mutilations sexuelles en République Démocratique du Congo, dans une région déchirée par les conflits et groupes armés utilisant le viol comme arme de guerre.

A son contact, le danseur décide de venir en aide à ces femmes sur le plan de la reconstruction psychologique et crée le programme « Re-création ». Il part à la rencontre de ces dernières et leur apprend à se réapproprier leur corps grâce à la danse. Au-delà des effets bénéfiques sur leur état psychique, les psychologues et professionnels de santé ont constaté que les ateliers de danse avaient sur ces femmes un effet libérateur, les aidant à s’exprimer et à poser des mots sur leurs traumatismes.

Cette reconstruction mentale, cette libération du corps et de la parole par la danse, c’est en prison que le chorégraphe Angelin Preljocaj a choisi de l’expérimenter. Sa femme, Valérie Muller le suit pendant plusieurs mois dans les couloirs des Baumettes où il anime des ateliers de danse auprès de détenues et découvre pour la première fois la dureté du monde carcéral. Elle réalise ainsi le documentaire « Danser sa peine » où elle décrit avec justesse l’enfermement des corps, et surtout la mise en veille des sens : « En détention, le corps est dans un carcan. C’est une privation de liberté de mouvement, et la danse, c’est tout l’inverse. Même entre les barreaux, on peut avoir cette forme de liberté. »

Angelin Preljocaj apprend à ces femmes à reprendre confiance et estime de soi, à s’émanciper et à découvrir une discipline qu’elles croyaient inaccessible. Le projet de réalisation de documentaire et l’atelier danse étaient parfaitement complémentaires : la libération de la parole a nourri la libération des corps et inversement, ce qui a permis aux détenues de prendre de l’assurance face à la caméra et sur la piste de danse. Jusqu’à aboutir au spectacle « Soul Kitchen », qu’elles présentent au Pavillon noir à Aix En Provence puis au festival Montpellier danse l’été 2019.

Un pouvoir curatif certain, un intérêt tardif mais croissant, la danse-thérapie semble avoir le vent en poupe, et c’est tant mieux. Elle entretient corps et esprit, et nous apprend à cultiver le lâcher prise. Plus qu’un simple medium de thérapie, Ohad Naharin, célèbre chorégraphe israélien qualifie la danse de véritable mouvement de vie. « Je danse tous les jours. Tout le monde devrait en faire autant ».

 


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