Aujourd’hui, la maternité est tellement commune dans nos sociétés et les soins institutionnalisés en France que l’on pourrait croire que mettre au monde un enfant est quelque chose de facile, d’inné voire banal. Pour autant, depuis quelques années, des voix s’élèvent pour raconter l’envers du décor sur la grossesse, l’accouchement et l’éducation des enfants. Des témoignages essentiels pour se préparer ou mieux accompagner les femmes qui ont fait le choix de ce « virage à 360 » dans leur vie. Nous sommes allés à la rencontre de deux jeunes mamans, Marion (32 ans) et Juliette (30 ans) pour parler des difficultés du post-partum. Au programme : dépression, baby clash et éducation positive mais aussi « mois d’or ».
« J’ai l’impression qu’on parle beaucoup plus ouvertement de la difficulté d’être parents et de l’accouchement. Avant on n’en parlait pas trop, on ne pouvait pas trop se plaindre. Maintenant c’est permis ! On est aussi beaucoup plus informés ! », constate Marion au détour de notre conversation.
En effet, tout un ensemble de difficultés, d’états, de ressentis sont maintenant expliqués et exprimés au grand jour concernant la naissance d’un enfant. C’est par exemple le cas du concept de la « matrescence ». Dans son livre, « Le post-partum dure 3 ans », Anna Roy explique que ce mot est un néologisme apparu dans les années 1970 par l’anthropologue Dana Raphaël. Il est une contraction de « maman » et « adolescence » et a pour objectif de comparer le changement hormonal et psychologique d’une mère à celui d’un adolescent. Le bouleversement que constitue la maternité pour une femme est souvent minimisé. Lorsque nous parlons grossesse et accouchement, nous parlons prénom de l’enfant, poids, taille, sommeil, allaitement mais très peu du bien-être de la mère. Pourtant, les émotions et sentiments ressentis par la mère lors d’une naissance sont forts.
Anna Roy partage le témoignage d’une femme venant d’accoucher : « J’ai vu, en accouchant, le poids de la responsabilité qui s’abattait sur moi, et tout s’est éclairé. J’ai même pensé à ma mère, à toutes ses inquiétudes « si peu justifiées » dans un passé encore proche. J’ai compris que la parentalité serait une source de joie immense et inexplicable, mais qu’elle serait également source de souci constant, pour la simple et bonne raison que le lien définitif qui unit parents et enfants est aussi puissant qu’invisible, et c’est bien parce qu’il est invisible qu’il se veut aussi puissant ». Marion confirme : « Pendant ma grossesse, il y a trois ans et demi, la maternité restait idéalisée. Il y a encore beaucoup d’idées reçues entre l’image que l’on se fait et la réalité ».
Tout le monde ou presque s’accorde à dire que les premiers mois après un accouchement peuvent être difficiles et nous pensons souvent d’abord au sommeil des parents et au manque de temps pour soi. Mais les changements sont aussi très psychologiques et la confiance en soi peut beaucoup fluctuer à ce moment de vie. Marion explique : « J’ai eu l’impression de perdre confiance en moi dans tous les domaines : aussi bien au niveau professionnel qu’avec ma fille avec qui je n’avais pas l’impression d’être suffisamment une bonne mère pour elle alors que ce n’est pas le cas dans la réalité ». Les images idéalisées de la mère véhiculées notamment sur les réseaux sociaux participent à créer une pression supplémentaire chez les femmes qui ont déjà le poids de l’image de la « bonne mère » sur les épaules. Marion développe son propos à ce sujet : « Je m’étais mis des objectifs, peut-être aussi pour faire la « wondernana » qui a allaité un an. […] Si j’avais vraiment pensé à moi sur le moment, je me serais dit que je pouvais très bien arrêter, j’aurais été une aussi bonne mère. Le plus important est la santé mentale de la mère afin qu’elle soit bien avec son enfant. Le reste, on fait comme on peut ». Quand Marion parle de santé mentale chez les mères, elle sait de quoi elle parle, car elle explique qu’elle s’est « littéralement oubliée » les premiers mois après son accouchement et que c’est sans doute une des raisons pour laquelle elle a fait une « dépression post-partum ».
Dépression post-partum et « mois d’or »
Anna Roy explique que le post-partum est la période qui suit l’accouchement : « Elle démarre au moment de la délivrance, la dernière étape de l’accouchement qui correspond à la sortie du placenta. (…) Selon la science toujours, le post-partum s’arrête quand les menstruations reviennent. ». Mais l’autrice déplore la différence entre la définition scientifique et le ressenti réel des femmes : « le retour des règles, c’est bien, mais ce n’est pas le retour du sommeil, du périnée d’antan, de la forme olympique, d’une sexualité fluide, et j’en passe. Voilà pourquoi cette définition est bonne pour les professionnels de santé, mais n’est pas tangible dans la réalité. » Selon l’UNICEF, « la dépression du post-partum, ou dépression post-natale, est différente du « baby blues ». Elle survient généralement deux à huit semaines après l’accouchement, mais on l’observe jusqu’à un an après la naissance ». Il ne s’agit pas d’une « simple tristesse » mais d’une « anxiété intense qui empêche la maman de profiter son enfant.
Marion confirme : « La maman n’arrive pas à ressentir de la joie, du bonheur d’être avec son enfant. Il y a une telle différence entre ce qu’on avait imaginé et la réalité ». La dépression post-partum concerne une femme sur cinq et serait souvent causé par l’isolement. La dépression post-partum n’est donc pas systématiquement ressentie dès la naissance. En effet, celle-ci a été diagnostiquée chez Marion au bout d’un an : « le manque de sommeil, la pression du travail, le fait de vouloir être partout et d’avoir le sentiment d’être nulle part. C’est venu progressivement pour que j’en prenne conscience au bout d’un an, un an et demi ». Elle ne dure pas que quelques mois, mais comme l’indique le titre du livre d’Anna Roy, elle peut durer trois ans car : « non, on ne se remet pas de l’accouchement et de la naissance d’un enfant en une poignée de semaines. Il faut trois ans pour se (re)trouver après un tel événement. C’est un tel évènement pour le corps, la tête, le couple, le porte-monnaie, la sexualité, la vie sociale, la vie professionnelle et j’en passe. Mettre au monde un enfant nous bouleverse profondément », explique l’autrice. « Il y a vraiment une comparaison avant/après », déclare Marion.
Certains parlent du « regret maternel », ces femmes qui regrettent d’avoir un enfant une fois qu’elles l’ont eu alors qu’elles l’aiment profondément. C’est ce qu’explique la sociologue israélienne Orna Donath dans son livre « Le regret d’être mère ». Le post-partum est vécu différemment d’une personne à l’autre et selon Anna Roy, « affirmer que le post-partum est ingrat, ou à l’inverse magique et heureux, n’a aucun sens. Il est un peu de tout ça à la fois, et chaque femme jugera. Tout dépend de son histoire et de ses connaissances en la matière, de son entourage proche, des aléas (évidemment) et des équipes médicales qui l’entourent (évidemment aussi). On ne peut pas ignorer que le suicide est la deuxième cause de mortalité maternelle ».
Marion ajoute que pour sortir de cette dépression post-partum, l’autonomie de l’enfant et la psychothérapie permettent de retrouver un peu « la vie d’avant » et d’accepter sa nouvelle vie. Juliette aussi avait la crainte de devoir passer par la dépression post-partum. Elle pense que le fait d’avoir beaucoup préparé son « mois d’or » a sans doute dû beaucoup l’aider. Le mois d’or désigne la période qui débute au moment de l’accouchement et qui s’étend sur 40 jours. C’est une pratique ancestrale qui consiste à prendre soin de la femme qui vient d’accoucher Juliette décrit sa préparation : « J’avais fait tous les petits plats qui sont conseillés pour se regénérer, j’avais fait le massage rebozo pour mieux me recentrer sur moi-même, j’avais dit à tout le monde que je ne voulais pas de visites pour rester au maximum allongée… ». Elle insiste sur le fait que son entourage était également très présent pour elle : « Si je n’avais pas eu l’entourage que j’ai eu, je ne serais pas devenue mère de la même façon. Je connais un conjoint qui est allé boire des verres avec des amis le lendemain de la naissance de son enfant. Pour moi, ça aurait été impossible. J’avais trop besoin de Rémi (conjoint de Juliette), ne serait-ce que pour prendre une douche ! ». En effet, la présence du conjoint est importante et les disputes dans des couples sans histoire peuvent éclater suite à tous les changements qu’implique la naissance d’un enfant. L’autrice Julia Kerninon explique très bien cette situation dans le podcast de Bliss-Stories « Maternité sans filtre : #244 « notre deal pour ne pas clasher » ». Elle y raconte comment ne pas tomber dans le « baby clash ».
Le couple au défi du baby clash et de l’éducation de l’enfant
Deux couples sur trois vivent un baby clash. « Le baby clash est un phénomène qui se traduit par l’apparition de tensions, conflits et/ou disputes entre les deux partenaires dans les mois qui suivent la naissance de bébé. Ces derniers s’expliquent par le changement de vie, la fatigue, les nouvelles responsabilités à endosser qui peuvent être angoissantes pour la mère comme pour le père ». Parmi les causes des conflits le plus souvent citées : « le partenaire n’est pas assez présent, il ne l’aide pas assez dans ses tâches quotidiennes, il la laisse s’occuper majoritairement ou entièrement de bébé, la maman a toute la charge mentale… Ou alors, ses émotions ne sont pas écoutées, pas comprises, pas prises en compte ». « Au retour de la maternité, la jeune maman en post-partum ressent toutes sortes d’émotions intenses, parfois extrêmes. Il est primordial d’être à son écoute ». Marion ajoute : « Avant il ne fallait pas montrer que le couple battait de l’aile à l’arrivée de l’enfant. Maintenant, on peut parler, cela ne veut pas dire que c’est la fin du couple. Avant, ce qui nous rendait heureux, c’était de faire des choses à deux. Ensuite, c’est l’enfant qui passe en premier ».
La fatigue est citée par Marion et Juliette comme la cause de la plupart des conflits après la naissance, mais elles s’estiment toutes les deux chanceuses, car le partage des tâches s’effectue au sein de leur couple. Julia Kerninon explique dans ce podcast comment les inégalités structurelles de la maternité en France ont été l’objet de différends avec son conjoint alors qu’ils menaient une vie sans animosité jusque-là. Elle considérait avoir mis neuf mois de sa vie entre parenthèse pour l’enfant et avait besoin d’une « contrepartie ». Il fallait également se réorganiser dans les tâches ménagères, le sommeil… Julia Kerninon était face aux inégalités de la société et la naissance de son enfant l’a rendue plus féministe. C’est ce que raconte également Marion, qui n’est pas très à l’aise avec l’idée de « féminisme ». Le mot étant encore l’objet de tabous et d’idées préconçues, elle ne se disait pas vraiment féministe mais la naissance de sa fille Agathe l’a éveillée à ces questions. Juliette, en revanche, se pense féministe depuis longtemps et fait attention à l’éducation qu’elle transmet à sa fille. Elle raconte qu’elle était très fière d’elle lorsqu’elle a acheté une trousse à outils à sa fille ! « Cela devrait être normal et banal, mais cela ne l’était pas tant que ça ! J’espère que les couples qui élèvent des garçons se disent “Qu’est-ce que je peux faire pour que mon fils soit un bon homme !” ».
En dehors de l’éducation féministe, l’éducation positive et bienveillante est aussi très présente dans les médias et sur les réseaux sociaux et fait l’objet de discussions (voire disputes) au sein des couples. L’éducation féministe ou bienveillante est un questionnement auquel la mère doit faire face et réfléchir afin d’être en accord avec elle-même. C’est également une question qui se pose au sein du couple. Le regard que porte la société sur tel choix et pas un autre peut également être difficile pour la mère et/ou le père. L’éducation bienveillante est « un mode d’éducation basé sur l’empathie et le respect de l’enfant, axée sur l’attitude du parent vis-à-vis de l’enfant. Cette manière d’éduquer s’oppose à toute forme de violence » . Ce mode d’éducation a été très médiatisé et a fait débat notamment après les prises de positions de la psychologue Catherine Goldman considérée comme « l’anti Françoise Dolto » selon le Nouvel Obs. Françoise Dolto (1908-1988) était une pédiatre et psychanalyste française. Alors qu’elle prônait l’enfant à « égalité d’être » avec l’adulte, Catherine Goldman prône la verticalité. Pour France Inter, elle explique qu’à l’époque de Françoise Dolto, il y a soixante ans, de nombreux enfants étaient en carences affectives et déprimés et qu’il était nécessaire d’apprendre aux parents à « être tendre, ouvrir leurs bras et les écouter davantage ». Elle déclare que si elle avait travaillé à la même époque que la célèbre pédiatre et psychanalyste, elles auraient probablement été d’accord mais que les problématiques actuelles sont différentes. Elle pense qu’aujourd’hui, au contraire, beaucoup d’enfants ont plutôt besoin de limites.
Juliette et Marion estiment toutes les deux que ce sujet a été une véritable question dès leur post-partum. Marion s’exclame : « Nous sommes régulièrement obligés de nous demander si on est d’accord sur l’éducation de notre fille. Avant on devait se mettre d’accord sur la destination de vacances. Maintenant c’est sur les valeurs qu’on veut inculquer à notre enfant ! ». Toutes les deux ont été bercées par l’éducation bienveillante, mais elles ont eu besoin de prendre du recul vis à vis de tous les conseils prônés par ce mode d’éducation. Marion a finalement trouvé que l’éducation positive pouvait être très culpabilisante pour les parents. Quant à Juliette, elle explique que pour donner une éducation bienveillante à son enfant, il faut vraiment s’affirmer vis à vis de la société pour garder ses convictions et ses valeurs. Elle explique une dissonance avec la famille de Rémi : « Je pense que nous sommes des « bobos urbains » car dans notre réseau, personne ne dit qu’il faut laisser pleurer son enfant alors que le frère de Rémi qui habite dans une région un peu plus reculée pense exactement l’inverse ».
Le post-partum impose donc son lot de difficultés plus ou moins importantes et de nombreux questionnements que ce soit sur soi-même, dans son couple ou vis à vis de la société. Pour Juliette et Marion, le plus important reste de ne pas se mettre la pression avec toutes les injonctions reçues, et d’être en accord avec soi-même pour faire ce qui semble le mieux pour soi et son enfant.