Le retour de la nature en ville
par Caroline Circlaeys
12 juin 2024

Combien de citadin·es rêvent d’espaces plus verts, de fuir le béton, de respirer de l’air sans particules fines voire même d’apercevoir des animaux dans les parcs environnants ? La moitié de l’humanité ? En effet, cela correspond au nombre de personnes vivant aujourd’hui en milieu urbain, d’où jaillissent 70 % des émissions planétaires de gaz à effet de serre de toute la Terre.

Ne serait-il pas temps de ramener la nature en ville ? 

Est-ce une utopie ? Que nenni ! Cela s’appelle la renaturation. C’est même un programme écologique européen intitulé REGREEN et porté par 19 partenaires dont l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France (ARB îdF). La région Île-de-France fait d’ailleurs partie des 4 laboratoires urbains du projet. 

L’objectif est de trouver des solutions fondées sur la nature pour améliorer les villes qui sont devenues trop minérales, c’est-à-dire bâties avec des matériaux artificiels et aménagées de telle façon qu’elles stockent le carbone, favorisent des îlots de chaleur urbaine et la mauvaise qualité de l’air. Sans compter les risques d’aléas météorologiques comme les canicules, les inondations… 

L’écologue et directeur de l’ARB îdF, Jonathan Flandin, rajoute que ce n’est pas que la santé physique des habitant·es qui est impacté, c’est aussi la santé psychique : « Des études démontrent que la proximité des espaces de nature améliore le bien-être et la santé morale des habitants. » L’expert en écosystèmes nous présente les outils mis en place. « On a établi une cartographie à l’échelle de la région Île-de-France qui se centre sur tous les secteurs les plus urbains, permettant à la collectivité d’identifier son potentiel de renaturation. »

Le Cartoviz « Où renaturer en Île-de-France ? » est disponible en accès libre en ligne. Il s’agit d’une carte interactive sur laquelle il est possible de filtrer par enjeux : biodiversité, changement climatique, santé et cadre de vie. « Ensuite, il faut aller sur le terrain pour voir si le secteur identifié permet techniquement la réalisation d’une action de renaturation. L’idée est que les collectivités s’en emparent et mènent à bien le projet », avec l’aide de l’ARB îdF qui partage son savoir-faire notamment via un guide pratique

Au total, l’agence a identifié 30 535 hectares « renaturables » en Île-de-France, dont 7016 ha où la renaturation apporterait un réel bénéfice pour la transition écologique.

En ville, il est possible de « renaturer » par exemple des parkings, des cours d’école, des friches, une cour d’immeuble, une zone imperméable qui n’a plus de fonction, des cimetières… « En végétalisant des cimetières, qui sont des espaces très minéralisés, visités par des publics âgés et vulnérables, on peut réduire l’effet d’îlot de chaleur et les rendre plus accueillants pour la biodiversité », explique Jonathan Flandin.

Le cimetière des Gonards de Versailles, entretenu sans pesticides chimiques depuis 2009, est devenu un refuge pour la vie sauvage. La création d’une mare a entraîné l’arrivée de nouveaux occupants : des renards, des oiseaux, des libellules… La désimperméabilisation des trottoirs, la transformation des allées en pavés engazonnés ont permis au moins une économie d’entretien et ont ainsi encouragé la flore spontanée. 

D’après la Society for Ecological Restoration (2023), la renaturation consiste à « aider un écosystème à se rétablir après qu’il ait été dégradé, endommagé ou détruit ». Le directeur de l’ARB îdF insiste sur la notion de fonctionnalité, il ne suffit pas juste de végétaliser les bâtiments ou les espaces. Ce n’est pas qu’une question de verdir ou d’orner la ville, il faut qu’ils puissent redevenir autonomes et pérennes : « C’est la restauration d’un écosystème afin qu’il soit fonctionnel. Ainsi, il va permettre le développement d’une biodiversité riche en flore et en faune. »

Comment alors repenser le milieu urbain ? 

En s’attaquant en profondeur au problème de l’artificialisation d’un lieu pour réactiver les sols afin qu’ils redeviennent perméables. En n’utilisant par exemple aucun revêtement, on parle de « retour à la pleine terre », ou alors en privilégiant des revêtements poreux et drainant comme les pavés non jointés, ou encore en optant pour des aménagements paysagers tels que des jardins inondables. 

« En imperméabilisant, on perd les services que les sols vont rendre, notamment par rapport à l’eau et son infiltration pour alimenter les nappes phréatiques par exemple. Tout ça, évidemment, est problématique pour le cycle de l’eau », explique le Directeur de l’ARB îdF. La solution naturelle est multifonctionnelle, alors qu’un aménagement classique comme un ouvrage bétonné pour orienter les eaux de pluie « n’est fait que pour ça ». 

« Alors que si, à l’inverse, vous travaillez sur une noue végétalisée (un fossé peu profond végétalisé), cela va permettre de gérer les questions de ruissellement, d’infiltration de l’eau dans le sol. Vous créez un espace de nature potentielle, accueillant pour la faune et la flore sauvage, et en même temps, vous améliorez l’environnement des habitants. » 

Il existe aussi des méthodes de dépollution des sols qui peuvent être appliquées dans les parcs urbains comme la phytoremédiation, le recours aux plantes pour traiter l’eau et le sol. On peut également utiliser des espèces dites « ingénieur » comme les vers ou les mycorhizes. « C’est moins coûteux que la mise en place de techno-sols ou de techniques mécaniques, parce qu’on va laisser les plantes réagir. Par contre, évidemment, ça met plus de temps, mais il faut accepter aussi le temps long dans la nature. »

Selon Jonathan Flandin, les collectivités ont tout intérêt à prendre en compte la nature dans leurs aménagements, car les solutions d’adaptation fondées sur la nature en ville sont « low tech » et répondent simultanément à plusieurs enjeux : la question de l’adaptation de la ville aux changements climatiques, de la réduction des îlots de chaleur urbaine, des inondations et également de l’amélioration du cadre de vie et de la santé des habitant·es tout en favorisant la biodiversité. 

Les exemples inspirants de renaturation en milieu urbain ne manquent pas. À Gonesse, la canalisation et la bétonisation de la rivière causaient des inondations du quartier du Vignois. Une zone d’expansion des crues a été créée en 2019. Concrètement, il s’agit de bassins naturels reliés par des seuils pouvant stocker jusqu’à 55 000 m3 d’eau. « C’est de la renaturation : le retour à un écosystème naturel tout en ayant également un espace qui a également ses fonctionnalités de parc urbain et de gestion des crues ».

Dans la même veine, dans la ville de Blois sujette aux débordements en raison de l’urbanisation de la Bouillie, la zone de déversoir des eaux, la collectivité a décidé de démolir plus d’une centaine d’immeubles pour recréer un espace naturel, mais aussi des aires de loisirs.

À Aubervilliers, un ancien parking a été transformé en jardin sauvage avec l’aide de l’agence de paysage Wagon Landscaping. Ce jardin de rocailles a désormais une portée sociale. Suivant cette idée d’ensauvagement, la végétation s’est vite emparée de la vieille ligne de chemin de fer inutilisée, la Petite Ceinture de Paris dans le quinzième arrondissement. Depuis, des friches sauvages y ont été délimitées et abritent la faune et flore parisienne.

Dans le vingtième arrondissement de Paris, le défi de recréer dans la capitale un espace naturel presque sauvage a été relevé grâce à l’ingénierie écologique : le jardin naturel Pierre-Emmanuel a ainsi vu le jour en 1996. Désormais l’on peut y croiser des papillons, des libellules, des grenouilles et même des hérons le temps d’une balade.

La température en ville pose problème notamment lors des épisodes de canicule. En 2003, année de la vague de chaleur historique, Météo France avait constaté huit degrés de différence entre le centre-ville et la banlieue. Comment donc aider les écoliers et écolières qui étudient entre quatre murs asphaltés ? 

L’initiative de création de cours oasis dans les écoles parisiennes pour rafraîchir et améliorer le cadre de vie des enfants et des enseignant·es est née. Repenser les sols pour qu’ils soient plus naturels, perméables et qu’ils favorisent l’écoulement des eaux de pluie. Planter des arbres, installer des murs végétalisés, des jardins pédagogiques. L’école élémentaire Keller dans le 11ème arrondissement de Paris a partagé son retour d’expérience sur un blog.

Un autre projet « nos arbres » chez nos voisin·es Suisses à Genève a cherché à améliorer la place de l’arbre en ville qui, ne l’oublions pas, séquestre le carbone, filtre les polluants dans l’air et égaye le paysage. Ils ont ainsi remplacé les fosses individuelles des arbres pour favoriser le retour à la pleine terre et ainsi les aider à mieux croître.

À l’école des Sciences et de la biodiversité de Boulogne-Billancourt, une impressionnante toiture végétalisée a été installée avec des substrats allant jusqu’à 1 mètre de profondeur, si bien que même les oiseaux s’y nichent.

Ces exemples, peuvent-ils servir de modèles à appliquer dans n’importe quelle ville ? 

Renaturer implique d’effectuer une étude au cas par cas de la zone et de son contexte, avertit Jonathan Flandin. On peut s’inspirer, mais attention au « Blandscaping » : la standardisation d’une pratique. « Ce qui se fait dans le nord de la France, bien évidemment, ne peut pas se faire dans la région méditerranéenne. Les plantes, les milieux, les conditions climatiques et les interactions entre la faune et la flore sauvages ne sont pas les mêmes. » 

« On ne peut pas faire du copier-coller. Quand on travaille pour améliorer la biodiversité, la connaissance doit être locale. Il faut faire un diagnostic écologique : des inventaires sur la faune, sur la flore, sur toutes les saisons, pour voir les espèces présentes, des analyses des sols en place, prendre en compte les conditions hydrauliques, les conditions climatiques et tous ces facteurs-là, les intégrer dans l’aménagement. »

L’écologue prend l’exemple des toitures végétalisées qui sont devenues « tendance ». Celles-ci se sont généralisés notamment avec l’utilisation des mauvaises plantes telles que les caissettes de sedum qui, selon une étude de l’ARB îdF, ne remplissent pas les fonctionnalités telles que l’accueil de la biodiversité, le stockage des eaux et le rafraîchissement de l’air, à moins d’augmenter les hauteurs de substrats et de diversifier la végétation.

Idem, pour le phénomène des implantations de ruches en ville qui ne contribue pas à améliorer la biodiversité. « On s’est même aperçu notamment en région parisienne, Paris petite couronne, que l’espace urbain est tellement saturé de ruches qu’on a de la compétition entre les pollinisateurs sauvages et les abeilles domestiques pour accéder au pollen et au nectar, et c’est contre-productif. » Pour favoriser ces espèces sauvages, il faudrait plutôt créer des milieux comme des prairies naturelles qui vont offrir des ressources alimentaires en grande quantité aux pollinisateurs.

Même constat avec les hôtels à insectes qui sont certes un excellent outil pédagogique, mais qui ne favorisent pas un développement durable. Pour cela, « il vaut mieux mettre des tas de bois morts, par exemple, laisser des zones sableuses où ils vont nicher », conseille Jonathan Flandin.

Enfin, une autre erreur de renaturation consiste à ne pas prendre en compte l’espace dans sa globalité : « Un des éléments pour que les milieux, les habitats, soient fonctionnels est qu’ils soient connectés. Un espace isolé, c’est un espace qui, à terme, va perdre de sa fonctionnalité et de sa biodiversité d’où l’importance des continuités écologiques comme les trames vertes, la trame noire pour les pollutions lumineuses ou la trame brune pour les sols. » 

En effet, les aménagements urbains et péri-urbains tels que la végétalisation des rives, des bords de route, la mise en place de haies, de friches, la suppression d’obstacles dans les cours d’eau, la plantation d’arbres créent des corridors naturels, assurant le déplacement des espèces, leur reproduction, leur alimentation et une meilleure cohabitation de la nature en ville.

L’ARB îdF met ainsi en réseau les personnes en charge de l’aménagement, les collectivités, les associations naturalistes, les entreprises pour éviter les actions isolées. « C’est important que ce que fait la collectivité soit aussi suivi par les acteurs privés et que tout cela s’intègre afin qu’il y ait une cohérence dans le développement de la nature sur un territoire donné », précise le directeur.

L’urbanisation croissante ne fait pas bon ménage avec la faune et la flore francilienne qui sont malheureusement en déclin. L’ARB îdF joue un rôle clé dans sa protection en constituant, avec ses partenaires, des listes rouges des espèces menacées au niveau régional : « Un quart des amphibiens et un peu plus d’un quart des reptiles risquent de disparaître en Ile-de-France, on est aussi passé d’un quart à 39 % des espèces menacées pour les oiseaux et quasiment toutes les espèces de chauves-souris sont en danger », alerte l’écologue.

C’est pourquoi, leur quatrième cheval de bataille repose sur la sensibilisation du grand public. Pour impliquer les citoyen·nes, l’agence régionale contribue et relaie au niveau régional la Fête de la nature qui s’est déroulée à la fin du mois de mai. Cet événement national proposais aux petit·es et grand·es des ateliers et des sorties nature gratuits. 

À chaque édition, l’ARB îdF publie un ouvrage pratique. Cette année, le public découvrira « les carnets de petites anecdotes, un petit carnet pour accueillir la biodiversité dans son jardin » ou même sur son balcon.

L’ARB îdF aide également au déploiement des sciences participatives à destination de toutes et tous, des naturalistes expert·es, des agriculteur·ices, mais aussi des scolaires qui endossent le rôle d’observateur·ices. Nul besoin de connaissances ou de compétences particulières, quiconque peut suivre facilement les protocoles et faire des relevés dans leur jardin, dans leur parc ou dans leur rue. 

En se rendant sur le site Vigie-nature du Musée national d’Histoire naturelle, on peut choisir parmi un panel de programmes : les oiseaux des jardins, le suivi photographique des insectes pollinisateurs, les escargots, les papillons ou encore Sauvage de ma rue. Ce dernier propose d’identifier les plantes qui poussent spontanément au pied des arbres, le long des murs, des trottoirs.

De plus, ces données recueillies sont ensuite traitées par les chercheur·euses du Muséum national d’Histoire naturelle. Le protocole suivi étant le même partout en France cela rend possible la comparaison des chiffres. Ainsi, « on peut mettre en avant les effets du changement climatique qui interviennent sur la biodiversité. On va, par exemple, voir qu’on a certaines espèces d’oiseaux ou de papillons qu’on retrouvait uniquement dans le sud de la France, qui depuis une dizaine d’années, commence à être observés un peu plus haut sur le territoire. » 

Le directeur de l’ARB îdF est convaincu : « On protège mieux ce qu’on connaît, donc l’objectif est de sensibiliser et d’acculturer les gens à mieux reconnaître la nature de leur quotidien. La connaissance, c’est le socle de l’action publique et privée. Il y a un gros enjeu pour préserver l’existant et mettre en place tous les leviers possibles pour améliorer la prise en compte de la nature en ville. »


Photo couverture : Unsplash

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