La voiture électrique peut-elle sauver le climat ?
par Bettina Zourli
24 octobre 2023

Après de longs échanges et débats au début de l’année 2023, l’Union Européenne s’est enfin mise d’accord : les voitures thermiques (essence et diesel) seront interdites à la vente dès 2035 dans l’UE. L’objectif est très clair : réduire l’impact de la pollution provoquée par les voitures individuelles sur notre territoire. 

La voiture thermique représente à l’heure actuelle 16 % des émissions de gaz à effet de serre en France. La voiture électrique, selon le rapport de l’Ademe rendu en octobre 2022, a un impact bien moindre que nos moteurs actuels. En moyenne, et si elle est conservée longtemps, la voiture électrique pollue en effet 5 fois moins que la voiture thermique. Seulement, avec l’évolution du marché automobile, la production de batteries pour alimenter ces nouvelles voitures va être multiplié par 36 d’ici à 2030. 

Si l’alternative électrique est souvent présentée comme une solution “zéro carbone”, une solution “100 % verte”, est-elle réellement une réponse satisfaisante si l’on analyse toute sa production ? Qu’en est-il de l’impact humain de cette révolution automobile ?

Une solution pas si verte pour l’environnement

D’un point de vue purement environnemental, la voiture électrique présente un problème dès sa construction. Pour fabriquer une voiture électrique, il faut une batterie, contenant plusieurs minerais. On estime “qu’une batterie électrique contient en moyenne 7 kilos de cobalt, 45 kilos de lithium et 50 kilos de nickel.” Elle nécessite également ce qu’on appelle des terres rares, comme le néodyme et le dysprosium, des métaux présents partout sur la croûte terrestre (donc pas si rares), mais principalement exploités et vendus par la Chine, qui détient le monopole. Autant d’éléments ayant un impact considérable sur l’environnement.

Le lithium, indispensable à cette fabrication à tel point que certains le nomment “le pétrole du 21ème siècle”, n’est pourtant pas sans risque pour l’environnement. Ce minerai se trouve en immenses quantités dans les déserts de sel d’Amérique latine, et son extraction est extrêmement gourmande en eau et désastreuse pour les mines de roche, dans lequel il est extrait. Pour extirper le lithium de sa roche, il faut en effet d’abord broyer d’énormes quantités de mines de roche, puis les mélanger avec de toutes aussi grandes quantités d’eau pour obtenir une pâte. L’ajout de produits chimiques, qui sont ensuite rejetés dans la nature, fait également partie du processus d’extraction du lithium. 

En moyenne, et si elle est conservée longtemps, la voiture électrique pollue en effet 5 fois moins que la voiture thermique. Seulement, avec l’évolution du marché automobile, la production de batteries pour alimenter ces nouvelles voitures va être multiplié par 36 d’ici à 2030. 

Du côté des mines de nickel, le constat est similaire : de nombreuses régions voient leur biodiversité s’effondrer, notamment en Indonésie, où les eaux sont contaminées par les métaux lourds, provoquant une raréfaction des poissons, pourtant indispensables à l’alimentation quotidienne. 

Il en est de même pour le cobalt, dont l’extraction demande un apport énergétique considérable en énergies fossiles. 

Le lieu de fabrication de nos batteries joue également un rôle majeur dans l’impact carbone des voitures électriques. Les trois pays qui sont actuellement en mesure de fabriquer ces batteries sont le Japon, la Corée du Sud, et surtout, la Chine. Ainsi, en l’état, pour rentabiliser une voiture électrique et son processus de fabrication, il faut que cette dernière roule au moins 180 000 km.

L’impact humain de la voiture électrique

Mais la répercussion de la voiture électrique dépasse le désastre environnemental. L’exploitation des êtres humains, adultes et enfants, fait partie des réalités exacerbées par notre désir de rendre notre consommation de voiture plus écologique. 

La République démocratique du Congo abrite par exemple plus de 50 % des réserves de cobalt, et donc des dizaines de mines nécessitant des milliers de travailleurs pour fournir nos usines de voiture. En 2016, Amnesty International se rendait dans le pays pour y découvrir que “le minerai y était extrait à la main, par des enfants et des adultes, dans des conditions dangereuses et abusives, parfois dans des tunnels creusés profondément sous la terre.”

La demande de cobalt et d’autres terres rares (notamment le cuivre) amène des situations extrêmement dangereuses pour la population congolaise : expulsions forcées, agressions sexuelles, incendies, toujours selon Amnesty International et son dernier rapport Alimenter le changement ou le statu quo ?, publié en septembre 2023. 

Les pays occidentaux continuent d’exploiter des pays anciennement colonisés (la République démocratique du Congo a subi la domination coloniale de la Belgique jusqu’en 1960) via l’exploitation de ces mines. On parle parfois de “colonialisme économique” à juste titre.

Peinture sur toile par Cheri Benga, RD Congo, Nzeté ya Mbongo. 2018. Galerie Texaf Bilembo, Kinshasa, RDC.
Crédit photo : Bettina Zourli

À ce sujet, la vie future des véhicules progressivement puis totalement interdits en Europe doit aussi nous intéresser. Que vont devenir les véhicules qui ne pourront plus circuler car trop polluants ? Si certains pourront être convertis pour accueillir des carburants moins énergivores à base de biomasse, les anciens véhicules européens sont généralement revendus sur d’autres continents. L’exemple de la République démocratique du Congo est là encore très constructif : le pays rachète des voitures d’occasion européennes par milliers, tout comme le Bénin, où un commerce de plusieurs millions d’euros existe entre Bruxelles et Cotonou

Ainsi, à l’échelle planétaire, l’évolution des lois européennes ne règle pas le problème de la pollution liée à la voiture individuelle : elle ne fera que déplacer les pôles de pollution tout en perpétuant des rapports Nord/Sud profondément inégalitaires. Les pays des continents du Sud reçoivent nos vêtements usagés, nos déchets plastiques, nos voitures trop polluantes, car nous peinons à imaginer que nous sommes solidaires les uns des autres.

Relocaliser pour réduire notre empreinte

Côté fabrication, la France a inauguré en mai 2023 la première usine nationale dédiée à la production de batteries électriques. L’Allemagne et l’Italie travaillent actuellement sur des projets similaires. 

Le pays travaille actuellement à l’ouverture d’une gigantesque mine de lithium, qui devrait ouvrir à l’horizon 2027 dans le Massif Central, grâce à un projet mené par le groupe Imerys. Si cela peut régler certaines problématiques comme le travail forcé ou celui des enfants, ainsi que les conditions de travail dangereuses grâce à notre code du travail, il est néanmoins urgent d’avertir massivement sur le fait qu’aucune voiture, aussi électrique soit-elle, ne peut être 100 % verte. 

“Plus d’exploitation minière entraîne plus de perte de biodiversité, plus d’air, de sol et d’eau contaminés, un manque d’accès aux terres arables et à l’eau douce, des déplacements et une érosion des moyens de subsistance, des impacts sur la santé et plus de conflits”

Extrait d’une lettre ouverte de 234 ONG à la Commission Européenne

Simplement car les mines sont une source de pollution intense, et que chaque activité humaine basée sur la technologie est carbonée par essence. “Plus d’exploitation minière entraîne plus de perte de biodiversité, plus d’air, de sol et d’eau contaminés, un manque d’accès aux terres arables et à l’eau douce, des déplacements et une érosion des moyens de subsistance, des impacts sur la santé et plus de conflits”, voici la conclusion qu’apportait déjà en 2020 un consortium de 234 ONG

La question de l’eau utilisée pour l’extraction et la transformation des minerais ne sera quant à elle pas réglée même si l’extraction a lieu en France. Le pays a connu l’une des années les plus sèches en 2023, avec des nappes phréatiques à des niveaux dangereusement bas à plusieurs moments de l’année. L’ouverture de mines risque donc de renforcer les périodes de sécheresse que connaissent déjà de nombreux départements.

Enfin, c’est bel et bien la question du prix qui risque de devenir un problème si la production est relocalisée en Europe. Tout le monde risque de ne plus pouvoir s’offrir de voiture, comme l’alerte le président de la fédération belge des importateurs de voiture, Philippe Dehennin. Il est donc urgent que la transition écologique passe également par une éducation populaire sur notre utilisation quotidienne de la voiture. 

La décroissance comme solution

Certains diront que la critique des terres rares, des minerais et de leur extraction est déjà un problème avec les smartphones ou ordinateurs, qui nécessitent les mêmes minerais pour fonctionner. Les “vous voulez qu’on retourne à l’âge de pierre” ne sont jamais loin lorsque des critiques liées au “progrès” sont émises. Il n’est pas question de dire que la seule solution envisageable est d’arrêter la voiture pour revenir à la calèche, mais plutôt que notre désir de consommation intensive n’est tout simplement pas compatible avec la capacité terrestre. 

En effet, on estime par exemple que les réserves de cobalt seront épuisées dans 100 ans environ, en 2120. Il ne s’agit donc factuellement pas d’une alternative pérenne. 

La décroissance est ainsi souvent envisagée comme un déclin, comme un retour en arrière. Or, pour de nombreux défenseurs de l’écologie et de la décroissance, à l’instar de l’économiste Timothée Parrique, c’est surtout une “boîte à outils formidable pour repenser l’économie aujourd’hui”. Delphine Batho, présidente de Génération écologie, ajoute qu’il s’agit aussi du seul moyen de prendre en compte le bien-être humain tout en luttant contre le réchauffement climatique. 

Si la batterie électrique et ses terres rares sont des alliés fondamentaux dans la lutte contre le dérèglement climatique et que personne ne parle d’arrêter leur exploitation, c’est la cadence de cette dernière ainsi que la surconsommation liée aux modes de vie occidentaux qui est pointée du doigt. 

La voiture fait partie des symboles de nos vies modernes productivistes, et fait également partie du quotidien de millions de Françaises et Français. Pourtant, doit-on tous et toutes posséder une voiture individuelle ? Doit-on changer de voiture tous les deux ans lorsqu’un nouveau modèle arrive sur le marché ? 

La majorité des Françaises et Français changent de voiture tous les 4 à 6 ans, alors même que la durabilité optimale de cette dernière est de plus de 9 ans. 25 % des utilisateurs et utilisatrices changent de véhicule tous les 1 à 3 ans ! Le collectif car free sensibilise depuis des années sur les nombreux méfaits de la voiture, qui cumule pollution sonore, visuelle, atmosphérique, mais aussi anxiété et éloignement social. Pourtant, des milliers de personnes en France ont aussi besoin de leur voiture pour aller travailler au quotidien, notamment en dehors des grands centres urbains, où les transports en commun se font parfois rares. 

Le covoiturage entre collègues ou entre amis, la location de voitures sont autant d’options à explorer afin de réduire le parc automobile et ainsi alléger la demande en minerais et terres rares, tout en permettant d’une part aux usagers individuels de profiter de la voiture occasionnellement, et en évitant une interdiction pure et simple pour tous et toutes. 

L’engagement de la part des marques automobiles doit aussi devenir une priorité. Car si certaines indiquent vouloir veiller à un meilleur sourcing des minerais à l’avenir, pour l’instant, aucun concessionnaire automobile ne s’engage publiquement et avec transparence en faveur d’une meilleure traçabilité du cobalt ou d’autres minerais ou pour garantir aux utilisateurs que les batteries ne soient pas remplies de sang humain. Il y a donc beaucoup à faire, d’un point de vue institutionnel, mais aussi de sensibilisation, pour que nos habitudes quotidiennes cessent de faire des victimes à l’autre bout du monde. 


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