Des enseignants européens témoignent face à la difficulté du métier
par Caroline Circlaeys
18 juillet 2023

La France connaît une pénurie d’enseignants préoccupante. En juin 2023, il manquait encore des inscrits au concours externe de recrutement des professeurs des écoles pour pourvoir plus de mille postes vacants.

Mais ce phénomène n’est pas uniquement national. Le rapport de la Commission des finances comparant les rémunérations et les conditions de travail en Europe, constate les mêmes symptômes chez nos voisins. 

Les facteurs sont multiples et tendent vers une crise plus profonde : une dévalorisation du métier d’enseignant dans nos sociétés.

Au-delà des études et des chiffres, les témoignages d’enseignants sur le terrain permettent de mieux cerner le cœur du problème. 

Des professeurs manquant à l’appel

Les départs en retraite et la diminution des candidats dans les écoles annonce une relève difficile : 38 % du corps enseignant en Europe est âgé de plus de 50 ans au sein de l’OCDE

David O., professeur depuis 14 ans, enseignant le suédois et l’anglais au lycée près de Stockholm confirme : « la génération née dans les années 40 est maintenant partie à la retraite et nous n’avons pas assez d’étudiants dans les universités pour la remplacer. »

En octobre dernier, 200 enfants dans la ville minière de Kiruna en Suède ont dû être renvoyés chez eux car les autorités n’avaient pas réussi à recruter assez d’enseignants. D’après Carina Lidberg, la représentante de l’union des professeurs (Lärarförbundet), 200 écoles pourraient se retrouver dans la même situation, notamment dans les zones rurales du pays. 

David O., qui a découvert son métier pendant son enfance, en aidant sa grand-mère professeure à corriger des copies, s’inquiète de la situation : « En Suède, il n’y a plus beaucoup de personnes intéressées par ces études. » 

En France, la baisse de candidats aux concours pourrait résulter de la réforme de la « masterisation » selon l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean Jaurès. Il faut en effet désormais un master pour enseigner dans le primaire et le secondaire.

Malgré les exigences académiques, « il manque tellement de personnel dans l’éducation qu’on recrute des vacataires qui n’ont aucun diplôme. Ils sont formés en deux jours pour enseigner en primaire », souligne Véronique, enseignante française dans la région du Grand Est et maître-formatrice pendant 20 ans. 

La Finlande qui est souvent présentée comme le pays modèle échappant à la crise connaît également une pénurie, notamment en ce qui concerne l’éducation de la petite enfance accueillant les enfants jusqu’à 6 ans. L’OAJ, l’union des syndicats de l’éducation finlandaise, tire la sonnette d’alarme en annonçant un besoin de recruter d’ici la fin de la décennie :  4 000 enseignants préscolaires et 2 000 en primaire et secondaire.

En octobre dernier, 200 enfants dans la ville minière de Kiruna en Suède ont dû être renvoyés chez eux car les autorités n’avaient pas réussi à recruter assez d’enseignants.

Meryem, enseignante en maternelle en Finlande, relate : « Il est difficile de recruter des enseignants d’éducation de la petite enfance. Surtout dans la capitale. J’ai vu des enfants renvoyés chez eux parce qu’il n’y avait pas assez de personnel. »

Quand un professeur tombe malade ou est absent, le remplacer devient aussi un casse-tête.

 « Je suis malade et je dois quand même faire une préparation de la leçon pour mon collègue, ce qui est assez stressant, et encore plus si la leçon n’est pas enseignée du tout parce qu’alors, je devrais rattraper le retard », confie David O. depuis la Suède.

La Française Véronique, qui habite en face d’une école dans la région Grand Est, observe aussi le problème depuis sa fenêtre : « je vois une banderole avec des petits bâtons pour les 70 demi-journées non remplacées depuis le 1er janvier ». Elle regrette l’âge d’or scolaire en France où il y avait davantage de formation. « Aujourd’hui, comme il n’y a plus de remplaçants, il n’y a plus de formation. Si on veut se former, c’est sur notre temps personnel. »

Dans son école, elle n’a pas vu un remplaçant de l’année. Les élèves sont gardés en fond de classe par les autres collègues ou par les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap).

Vika, enseignante d’origine Slovène et basée en Angleterre, remarque que : « ce sont souvent les assistants des professeurs, qui ne sont pas qualifiés pour enseigner, qui remplacent car l’école n’a pas les moyens de payer des professeurs remplaçants. »

En Espagne, Taylor qui était instituteur en école primaire a souvent été sollicité pour des remplacements dans le secondaire : « on m’a demandé de couvrir des cours de mathématiques ou de français pour lesquels je n’étais pas suffisamment compétent. »

Au Portugal, David L., enseignant portugais auprès d’enfants de 13 à 18 ans à Lisbonne, explique qu’il connaît des écoles où les élèves doivent recourir à des cours particuliers quand ils ont des examens, car les cours ne sont pas assurés pendant des mois.

Une situation qui impacte les perspectives d’évolution des élèves. 

Un moral en baisse

L’insatisfaction générale gagne du terrain et les grilles de salaire peu attrayantes dans certains pays n’aident pas à séduire les jeunes d’aujourd’hui. Les salaires annuels des enseignants européens fluctuent entre 5 000 et 80 000 euros

Vika, Slovène déterminée à faire ce métier alors qu’elle n’avait encore que deux ans, détenant un niveau master dans l’enseignement primaire, trouve en effet que les salaires sont très bas en Slovénie et au Royaume-Uni : « un professeur à Londres avec 5 ans d’expérience n’est pas assez payé pour pouvoir louer un appartement tout seul. »

Meryem, en Finlande, confirme : « compte tenu de la charge de travail et du stress de la profession, les salaires sont plutôt bas. Récemment, il y a eu une grève et en septembre, les salaires seront augmentés. »

Des mesures visent à revaloriser les salaires. En France, il est prévu une augmentation des salaires de 10 % en septembre avec des primes et des opportunités de missions supplémentaires.

En se basant sur la moyenne européenne, l’Allemagne a doublé les salaires des enseignants. Pourtant 26 000 postes seront vacants dans le cycle primaire d’ici 2025. La rémunération n’est donc pas le seul nœud à dénouer.

En Suède, les professeurs peuvent augmenter leurs revenus en plus de leur fonction en candidatant aux postes intitulés « Förstelärare », ce qui signifie « les premiers enseignants ». Il s’agit d’un rôle supplémentaire réservé aux meilleurs éléments pour développer l’école et les élèves.

David O. est lui-même « premier enseignant » mais n’est pas convaincu : « Si vous ne devenez pas un premier enseignant, qu’est-ce que vous êtes ? Il serait préférable d’accorder la même augmentation de salaire à tous les enseignants. »

En se basant sur la moyenne européenne, l’Allemagne a doublé les salaires des enseignants. Pourtant 26 000 postes seront vacants dans le cycle primaire d’ici 2025. 

La rémunération n’est donc pas le seul nœud à dénouer.

La discipline des enfants, au cœur du métier

À 54 ans, la Française Véronique note également une évolution dans le comportement des enfants. « Autrefois, il y avait 40 élèves dans une classe et on n’entendait pas une mouche voler mais cela ne correspond plus à la réalité, ni aux rapports qu’eux et leurs parents ont à l’école. »

À Lisbonne, David L. dit rencontrer : « des élèves qui ont de sérieux problèmes comportementaux. »

Depuis Londres, Vika précise que « les parents ne respectent pas les enseignants et leurs enfants ne les respectent pas non plus. »

À Stockholm, David O. dit ne pas avoir ressenti de type de problèmes comportementaux. En revanche, selon lui, ce qui a changé, c’est le lien avec les parents qui ont désormais le statut de clients : « Ils peuvent menacer de changer d’école ou de mettre une mauvaise critique en ligne, ce qui entraînera une diminution du nombre d’élèves et d’emplois dans cette école. »

En France, Véronique raconte s’être retrouvée avec une configuration de classe problématique, suite à un changement de poste : « je suis tombée sur le public le plus difficile que j’ai connu de toute ma carrière. »

Sa classe comprend 27 élèves dont 9 enfants en situation précaire qui vivent des maltraitances familiales. Deux sont notifiés MDPH, en situation de handicap ou présentant des troubles du comportement. Et trois autres ont des symptômes qui mériteraient un suivi MDPH, mais les parents n’ont pas fait les démarches nécessaires. 

« C’est formidable l’inclusion mais là on ne s’est pas donné des moyens, il faut au minimum une auxiliaire (AESH) pour chaque enfant en situation de handicap. Aider un enfant qui est dyslexique et gérer le problème de comportement des autres, ce n’est pas compatible. »

Véronique ne bénéficie pas d’une AESH tous les jours et doit en plus faire un cours double de CE2 et de CM1 : « C’est absolument impossible dans ces conditions d’enseigner. Je passe un tiers de mon temps à faire de la discipline et à rattraper les enfants qui s’envoient des coups. »

En France, malgré 430 000 élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire en élémentaire et dans le secondaire, le manque de personnel d’accompagnement touche de nombreuses écoles. « Avant, il y avait des psychologues scolaires, des réseaux d’aides spécialisées pour les enfants en difficulté avec des maîtres formés doté d’un matériel adapté et maintenant plus rien. » regrette l’institutrice.

Au Portugal, David L. partage la même impuissance : « En raison de la pratique inclusive, il arrive que nous soyons confrontés à des élèves atteints de TDAH, d’autisme ou ayant d’autres besoins spécifiques dans notre classe ordinaire. C’est quelque chose que je ne comprends vraiment pas, surtout si un enseignant n’a pas la formation nécessaire pour gérer ces problèmes. »

Vika au Royaume-Uni explique qu’avant, elle avait deux aides-enseignants dans sa classe : « aujourd’hui il n’y en a plus et il y a au moins 5 enfants aux besoins spécifiques dans chaque classe. Il m’est impossible de fournir des soins supplémentaires aux enfants ayant des besoins particuliers. C’est l’éducation des enfants qui en pâtit le plus. »

Les classes surchargées nuisent au bon fonctionnement de l’enseignement.

Vika raconte qu’au Royaume-Uni, elle doit enseigner à 30 enfants sur 5 niveaux différents sans adulte supplémentaire dans la classe. 

Pour exercer dans de bonnes conditions, il ne faudrait pas plus de 25 élèves selon Véronique. Malheureusement en France, « les classes ferment si elles passent en-dessous de la barre des 25 et se transforment en cours double. Or le cours double nécessiterait un effectif plus réduit en raison de l’hétérogénéité des niveaux. Si je n’étais pas à temps partiel, j’aurais craqué. »

Avec la généralisation du télétravail, Taylor en Espagne n’a d’ailleurs pas hésiter à changer de métier : « Je me suis tournée vers les cours particuliers en ligne. Cela me permet d’enseigner depuis chez moi sans avoir à me rendre dans une école. »

Un métier encore trop dévalorisé

En France, seuls 6,6 % des enseignants français se sentent valorisés par la société pour une moyenne de 25 % dans les pays de l’OCDE. 

 « On n’a plus la même crédibilité que dans l’école d’autrefois où l’instituteur était le notable du village avec le notaire et le médecin. On recrute des contractuels qui ne sont pas diplômés. Qu’est-ce que cela renvoie comme image de notre valeur ? » confie Véronique.

Pour David O., en Suède, il faut toujours s’adapter à la politique du moment. « Beaucoup parlent de la Finlande comme d’un modèle. Leur système fonctionne peut-être mieux du fait que les politiciens laissent l’école tranquille. Il n’y a pas d’allers-retours incessants. Ils peuvent travailler dans le cadre établi depuis plusieurs décennies. » 

L’école est un sujet de prédilection des campagnes électorales et les changements de gouvernement entraînent des réformes du système éducatif. 

En Suède en 1991, les sociaux-démocrates ont supprimé le système scolaire public puis en 1992, le gouvernement de droite a lancé le système des « vouchers », des bons d’études financés par les fonds publics afin de permettre aux élèves de choisir n’importe quelle école, publique ou privée en bénéficiant d’une scolarité gratuite. 

L’école décentralisée est désormais gérée par les municipalités. Selon David O., « cela rend le système scolaire très inégal parce que chaque municipalité a des budgets et des compétences de gestion différents. » Le programme scolaire a également été modifié ainsi que le système de notation. 

Malgré tout, pour David O., même si « les choses ne sont pas parfaites, […] la récompense d’aider un élève vaut la peine de se battre. »

En Finlande, Meryem dit se sentir au contraire assez valorisée. « Dans ce pays, on accorde une grande importance à l’éducation préscolaire. Les parents sont généralement gentils et reconnaissants. » Les enseignants sont dotés de responsabilités de taille et sont de réels acteurs quant à l’éducation qu’ils proposent. L’analyste de l’OCDE, Éric Charbonnier évoque leur rôle perçu comme celui d’innovateurs voire de chercheurs. 

L’Unesco alertait déjà en 2016 qu’il faudrait 69 millions d’enseignants supplémentaires dans le monde d’ici 2030. Pour assurer l’enseignement des générations futures à l’échelle européenne mais aussi mondiale, il serait temps de redorer le blason du métier d’enseignant.


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